“Elites algériennes, histoire et conscience de caste” est le dernier ouvrage signé Mohamed Lakhdar Maougal, universitaire et auteur de plusieurs ouvrages, présenté dimanche après-midi au café philosophique de la Bibliothèque nationale du Hamma. L'ouvrage en deux tomes, paru aux éditions Apic, dans la collection Devoir de mémoire, et cosigné Aïcha Kasoul et Nacer Boudiaf, revient sur une question très sensible, notamment l'existence d'une élite algérienne et son rôle dans l'évolution de la société. D'emblée, l'orateur commence par présenter les raisons et les motivations qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage collectif. “Le travail sur la question de l'élite algérienne est intervenu d'un point de vue institutionnel. Tout a commencé avec une équipe du Cread, sous la direction du professeur Ali El Kenz à la fin des années 1980. Il était question de réaliser un travail sur les acteurs sociaux du changement qui s'effectuait dans la société”, dira Maougal, qui n'omettra pas de souligner l'absence des sociologues à un moment où l'Algérie vivait un bouleversement. “C'est une société reformatée qui émergeait avec l'ouverture politique.” Un bouleversement caractérisé par une prise de terrain des islamistes qui se sont imposés sans présenter un véritable projet de société. Le premier questionnement de Maougal concernera justement cette mouvance. “Est-ce que l'émergence de la mouvance islamiste constitue un débat élitiste?" L'investissement de la rue par la politique et l'absence d'un programme politique au sein de la mouvance islamiste, qui est, selon l'orateur, un “mouvement intempestif”, pouvaient servir de matière à une analyse profonde de la société algérienne. “Nous n'avons pas d'analyse sur ce qui s'est passé dans les années 1990 où la société était en ébullition. Le mouvement était-il vraiment une élite”, se demande Maougal, qui posera également la question du sens du mot élite et de l'existence d'une élite algérienne depuis la colonisation. À ce titre, il se demandera si le projet de société proposé par la mouvance islamiste, et qui trouve sa substance dans la pensée d'Ibn Taymiya, constituait une évolution pour la société algérienne. “Peut-on considérer que ce projet dont les préceptes remontent à plus de 14 siècles pouvait convenir à l'Algérie ?” Le conférencier insistera, également, sur la nécessité de faire sortir la culture algérienne des faux débats. Une élite, c'est plus qu'une nomenclature d'intellectuels. Une élite, ce sont des personnes conscientes du présent et qui interrogent le vécu, des producteurs de discours et des artisans d'idées. Plusieurs points marquent le discours de Maougal, qui présentera une analyse sur l'opposition entre l'islam et le modernisme. “L'élite ne peut être constituée par des personnes qui n'ont aucune formation et aucune culture. Des personnes qui ne s'inscrivent pas dans la modernité”, dira-t-il, en avançant l'exemple de l'abominable attentat de l'aéroport Houari-Boumediène en 1992. Et ici, c'est l'usage de la modernité qui est en question, car les auteurs de cet acte criminel n'étaient certainement pas des incultes. En revisitant l'histoire de l'Algérie, l'orateur conclura que l'Algérie n'a pas de mouvement élitiste. “Les intellectuels qui émergeaient étaient réduits à un cadre qui les empêchait d'évoluer.” Le “cas” de l'Emir Abdelkader sera le plus édifiant, selon Maougal. Il a construit un Etat sur des bases archaïques et qui ne cadraient pas avec l'évolution du monde occidental qui s'imposait comme une force réelle. “Des élites se sont constituées par la suite mais n'ont jamais été à l'avant-garde et n'ont eu aucun ancrage dans la société, laissant la voie à d'autres personnes moins compétentes.” Pour Maougal, les mouvements élitistes naissent avec les crises et disparaissent une fois la crise passée. Deux dates importantes ont marquées l'histoire de l'Algérie, à savoir 1830 et 1954. “Deux dates de crises marquées, respectivement, par l'occupation française et le déclenchement de la Révolution.” Concernant le mouvement nationaliste, Mohamed Lakhdar Maougal estimera que les élites politiques, principalement populistes, qui l'ont encadré jusqu'au déclenchement de la Révolution, a connu une nouvelle culture acquise au sein de l'immigration et des mouvements ouvriers en France et en Belgique. Un mouvement nationaliste qui a, cependant, marginalisé les intellectuels. Il citera à ce titre l'exemple de Mostepha Lacheref. “Il est difficile d'expliquer comment un homme comme Mostepha Lacheref s'est contenté d'être un pâle reflet de Messali Hadj et son Etoile nord-africaine. Il faut dire que le savoir n'était pas valorisé, tous ceux qui avaient le savoir et la culture de l'autre étaient suspects.” Autre exemple, celui de l'Association des ulémas qui, même composée d'intellectuels arabisés et qui avaient un ancrage dans la société, s'est interdite de faire de la politique. Au lendemain de l'Indépendance, le pouvoir en place a plus investi dans la formation des cadres que des élites dans le but d'imposer son ordre et gérer la société. La crise des élites en Algérie trouve ses origines, selon Maougal, dans les nombreux problèmes d'ordre économique que connaît le pays. W. L.