Sans qu'il n'y prenne garde, le Danemark se trouve plongé dans une crise sans précédent avec le monde musulman. Les caricatures produites par la presse de Copenhague et tournant en dérision les symboles de l'islam, ont été jugées blasphématoires par les musulmans. Flash-back sur les contours d'une crise politico-théologique avec Son Excellence, l'ambassadeur du Danemark Bo Erich Weber, en poste à Alger, mais qui représente aussi son pays en Tunisie, en Libye et en Mauritanie. L'Expression: Les autorités danoises ont mis beaucoup de temps pour réagir et essayer d'atténuer la crise née après la publication par la presse danoise de caricatures à caractère attentatoires contre la religion musulmane. Quelle appréciation en faites-vous? Bo Erich Weber: En fait, cette histoire est très, très malheureuse. Je le sais bien, évidemment. Je crois qu'il y a un malentendu, car, je pense que ce n'était pas dans l'intention des journalistes de faire une offense aux musulmans. Je crois aussi qu'il y a beaucoup de Danois qui ne connaissent pas le Coran. C'est un fait nouveau chez nous, un antécédent, je dirais. Chez nous, on caricature tout le monde et on en rit. C'est une tradition. Le Premier ministre lui-même est assez souvent caricaturé, mais les choses en restent là. C'est vrai qu'il faut rester très vigilant là-dessus, mais d'un autre côté, nous avons une liberté de presse très respectée. Naturellement, c'est un sujet assez pointu. Mais je peux vous dire que le journal auteur des caricatures a été très fortement critiqué de toutes parts. Jusqu'il y a une semaine, les journalistes ont fait une exigence sacrée de leur droit à la critique et à la liberté d'expression, mais je pense qu'il y a deux jours, le journal a présenté ses excuses, sur une page entière, écrite en langue arabe, et dans laquelle il déplorait que les choses aient pris une telle tournure. Maintenant, ils s'excusent, mais précisent qu'ils n'ont pas fait un délit selon les lois du Danemark. Autre chose: le gouvernement danois ne peut pas incriminer les journalistes parce qu'on a une liberté de presse qui est sacrée. Le Premier ministre avait dit, à l'occasion du Nouvel An, que l'atteinte aux droits civiques et religieux des autres n'est pas tolérée, mais il ne peut pas faire une loi qui incriminerait ces atteintes. Votre gouvernement déplore donc ces atteintes, mais a-t-il fait des excuses officielles à la communauté que ces caricatures ont ciblée? En fait, mon gouvernement a fait des remarques générales. Il ne peut pas aller au-delà de cela. Il lui est impossible de sanctionner, comme il lui est impossible de s'excuser sur des choses qu'il n'a pas faites. Nous ne sommes pas d'accord avec ce qui s'est passé, mais c'est le prix à payer pour notre liberté de la presse. Cela ne sert à rien en outre, de faire des excuses. Nous avons une démocratie qui date de 1849, nous avons des traditions et des libertés auxquelles nous tenons, mais je le répète, les opinions n'ont pas été délibérément partagées par tous les Danois. Est-ce que le gouvernement algérien peut présenter des excuses officielles lorsque vous, journalistes, vous faites offense à autrui? Je vous le demande... N'aviez-vous pas mésestimé la réaction du monde musulman qui, aujourd'hui, vous condamne ouvertement et peut aller jusqu'au boycott de vos produits? Le chef du gouvernement danois a dit, avant-hier, qu'il n'était pas d'accord avec tout ce qui s'est produit. Mais si un citoyen danois, et le journaliste en est un, commet une faute ou un délit, c'est à la justice de le condamner. La sanction pénale est hors des compétences du gouvernement. En fait, c'est dans les pays où la presse est contrôlée, muselée, qu'existe la sanction du gouvernement contre le journaliste. Nous avons une démocratie vieille de 150 ans, mais cela ne veut pas dire que le gouvernement accepte ce qui s'est passé. L'ampleur de la polémique risque de vous sanctionner au plan économique, avec un éventuel boycott... Boycotter c'est toucher des innocents. Avec l'Union européenne, nous avons des relations de travail économiques, mais ce n'est pas elle qui va régler nos problèmes. Nous espérons aller vers un débat apaisé et dépassionné. Même la communauté musulmane au Danemark est en train de calmer les choses et de dire que la polémique est plus grande que les fautes commises. Nous avons expliqué cela à l'OCI et à la Ligue arabe et je pense que les arguments les ont convaincus. Vous parliez du boycott anti-danois qui pourrait toucher des innocents, ne pensez-vous pas que vous avez touché des innocents dans leur foi et leur religion? Oui, oui, et c'est pourquoi le journal danois a présenté, il y a deux jours, ses excuses dans une page entièrement rédigée en langue arabe. Le gouvernement n'a pas pris rapidement position contre la presse, justement par respect aux libertés d'expression qu'on respecte beaucoup. Le Danemark a pris part aux côtés de la coalition dans la guerre américaine contre l'Irak afin de pénétrer le marché arabe, et plus particulièrement irakien. Ne ressentez-vous pas la crainte de vous être engagé dans une guerre qui vous met dans la ligne de mire des islamistes et de perdre le marché arabe à la faveur de cette histoire de dessins anti-islamiques? La prise de position danoise pour la guerre a été votée démocratiquement. Je sais qu'il y a des gens qui sont contre le fait de participer à la guerre, et c'est cela la démocratie. Il faut respecter l'avis contraire et l'opinion de la majorité, même si on n'est pas d'accord. Est-ce que tout cela peut fournir des prétextes aux fondamentalistes? Peut-être. Mais sachez que les fondamentalistes ne cherchent que des prétextes pour porter la violence dans votre camp. Vous savez, vous, très bien ce que c'est le fondamentalisme, et sur ce plan-là, je dirais oui, il y a peut-être à craindre. Naturellement, il faut calmer les choses. Et là, je tiens à démentir une information parue dans la presse algérienne selon laquelle les autorités danoises auraient déconseillé à leurs ressortissants de se rendre en Algérie. C'est faux, nous avons simplement préconisé un maximum de prudence, et c'est ce que font la plupart des gouvernements. Pour passer à un autre chapitre, nous vous demanderons de nous parler des échanges entre le Danemark et l'Algérie... Les relations politiques entre le Danemark et l'Algérie datent de 1770. C'est très ancien, n'est-ce pas? Ces relations sont excellentes, mais au plan des échanges commerciaux, le niveau reste très bas. Le Danemark est un pays très performant dans les domaines touchant à la recherche, à l'université, aux produits pharmaceutiques, au traitement des déchets et à la haute technologie. J'ai essayé de faire intéresser les investisseurs danois au marché algérien, qui est très prometteur, mais il existe un problème de langue qui bloque les choses, la plupart des hommes d'affaires danois préférant se rabattre sur les pays anglophones. Toutefois, il y a encore des opportunités à saisir entre nos deux pays.