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Le danger viendra de l'Est
MENACE DE GRIPPE AVIAIRE EN ALGERIE
Publié dans L'Expression le 27 - 02 - 2006

Les deux régions particulièrement vulnérables d'Algérie, Annaba et El Tarf, ne semblent pas s'inquiéter alors que l'humanité tout entière vit depuis quelques mois sous l'épée de Damoclès d'une pandémie grippale.
Sous les rayons d'une belle journée en cette fin du mois de février de l'année 2006, une image singulière s'offre aux passants sur la RN44 à mi-chemin entre Annaba et El Kala : trois enfants entourés de poules domestiques, de canards sauvages, de poules d'eau, de colverts et de hérons (oiseaux migrateurs) jouent à proximité de leurs gourbis et à quelques mètres du Lac des oiseaux. En d'autres circonstances, cette séquence serait extraordinaire à immortaliser par l'objectif d'un appareil photographique tant elle allie à la fois l'innocence des enfants, la beauté de la nature et la liberté des oiseaux.
Aujourd'hui, elle affolerait les experts de l'Organisation mondiale de la santé. Sans aucune protection, ces enfants se trouvent exposés au danger de la contamination par le virus de la grippe aviaire qui alarme la planète. La séquence constitue l'exemple parfait d'un foyer idéal de contamination directe par le virus H5N1. «Avez-vous reçu la visite des services vétérinaires?», interroge notre accompagnateur, Momo, de Chetaïbi. «Non», répond, du tac au tac, Moussa, collégien de troisième année moyenne. «Etes-vous au courant qu'il y a une maladie qui touche actuellement les oiseaux?», ajoute Momo. «Oui, on nous a informés à la télé Al Jazeera», répond encore l'enfant. Une note officielle, datée du 12 décembre 2005 enregistrée sous le numéro 3614, a été adressée par le ministère de l'Agriculture à tous les acteurs de la lutte contre la grippe aviaire. Elle les incite à mener une campagne de sensibilisation envers les populations riveraines des lacs disposant d'élevages domestiques afin d'éviter d'éventuels contacts avec les oiseaux sauvages, notamment les oiseaux aquatiques, qui pourraient s'avérer préjudiciables. «(... ) je ne saurais insister quant à la rigueur à observer dans l'application des mesures dictées ci-dessus et vous demande de tenir la DGF informée de l'évolution de la situation de manière régulière et éventuellement des difficultés rencontrées», a conclu la recommandation du ministère de l'agriculture. Il n'y a pas d'illusion à se faire sur la difficulté à étendre cette recommandation. Elle est loin d'être appliquée dans la rigueur escomptée.
La pandémie des fausses alertes
Plusieurs centaines de fausses alertes ont été reçues depuis le début effectif des mesures de prévention sur le terrain. Aucun oiseau parmi les sujets examinés par les services vétérinaires n'a montré de lésion aviaire. «Avec la chute des prix sur le marché de plus de 50%, les grands éleveurs semblent rechigner à signaler les maladies pour éviter l'abattage et ses conséquences financières», signale un responsable au niveau de la direction de l'agriculture d'Annaba.
Aussi, ce responsable réclame-t-il un système d'indemnisation pour encourager les fermiers à déclarer les cas suspects. La vaccination des animaux, qui est efficace, est encore loin d'être pratiquée systématiquement. Alors que l'humanité toutes entière vit depuis quelques mois déjà sous l'épée de Damoclès d'une pandémie grippale, les deux régions particulièrement vulnérables d'Algérie, en raison de l'existence de lacs où se concentrent les oiseaux migrateurs, ne semblent pas s'en inquiéter, ou très peu en tout cas. On s'attendait à trouver une stratégie de guerre sur place. Il n'en est rien. Les lacs de Annaba et d'El Kala accueillent, par dizaines de milliers, plus de 17 espèces d'oiseaux migrateurs. Jusqu'au mois de janvier, un total de 54.966 oiseaux a été enregistré au niveau de ces zones humides. En ce début mars, d'autres espèces sauvages vont transiter par la région avant de regagner l'Europe. Les responsables locaux à Annaba affirment avoir constitué une cellule de veille présidée par le wali. Elle a été installée le 9 novembre dernier. L'un des buts consiste à recenser les élevages avicoles ( notamment aux alentours du lac ). Elle a aussi élaboré un plan d'action qui doit être suivi par toutes les cellules installées au niveau des daïras et des communes. Mais à Annaba, la guerre contre la grippe aviaire semble se limiter au niveau des théories et des textes. Sur le terrain, la situation est plus complexe. De l'aveu même de l'inspecteur vétérinaire de la wilaya, les élevages traditionnels et familiaux ne sont pas connus. Une grave défaillance car le premier risque de contamination proviendrait de ces élevages.
Les autorités médicales et les experts le savent : un jour ou l'autre, le danger surgira. S'y est-on préparé? Très peu! Aucun plan de bataille n'a été officiellement annoncé ou esquissé. C'est évident quand on constate que le seul remède est un antiviral, le Tamiflu, dont on connaît la relative efficacité. Certaines souches du virus H5N1 y résistent déjà! Cette défaillance est-elle due au manque de moyens humains? matériels? à une défaillance au niveau du staff chargé de cette opération? des lacunes de coordination? Il est difficile de trouver une réponse à ces questions tant l'information était délivrée au compte-gouttes. Aucune sensibilisation n'a été perceptible sur le terrain sinon une relative panique qui a engendré une chute des prix du poulet de plus de 50%. «Dans le cadre de cette lutte préventive contre la grippe aviaire, nous avons mobilisé 30 vétérinaires. Ils ont effectué plus de 400 prélèvements sur des oiseaux sauvages et domestiques», indique le directeur des services agricoles de la wilaya de Annaba. «Si des oiseaux migrateurs grippés atterrissent en Algérie, il n'y a pas lieu de paniquer» rassure-t-il avant de préciser que «seuls les volatiles d'élevage risquent leur peau». Justement, l'Algérie vient d'ordonner le confinement des élevages. Jusqu'à présent, les 121 personnes qui ont été officiellement contaminées par le H5N1 (62 décès) sont des éleveurs ou des commerçants asiatiques ayant été en contact étroit avec les bêtes malades. Or la mesure de confinement des volailles domestiques n'est pas du tout suivie.
Plus à l'est, vers El Kala dans la wilaya d'El Tarf, c'est la paix dans tous les sens du terme. Car la guerre mondiale contre l'ennemi inconnu qu'est le virus H5N1 n'a pas été déclarée. Il peut agir sans inquiétude tant que des milliers de citoyens de la région restent encore très mal informés. A l'entrée du chef-lieu de la wilaya d'El Tarf, un fait remarquable saute aux yeux.
Des prêches contre la grippe aviaire
C'est la campagne pour la zakat qui bat son plein, plus que celle contre la grippe aviaire. Sur la plupart des devantures des institutions publiques, des banderoles ont été accrochées pour rappeler aux humbles citoyens que «la caisse de la zakat est un procédé moderne». C'est dire que le virus pourra se permettre un beau séjour dans cette région féerique. Les autorités locales soutiennent que les mécanismes de lutte sont au point. «Un guide sur la grippe aviaire sera distribué au niveau des écoles et des mosquées et des centres de formation professionnelle», affirme M. Aouadi Laïd, directeur des services agricoles à El Tarf. «Nous allons solliciter la radio locale et demander des prêches religieux pour une sensibilisation de proximité», ajoute-t-il. Ce responsable regrette, par ailleurs, que la presse locale ne participe que rarement à cette campagne de sensibilisation. «Nous couvrons toute la wilaya avec une permanence H24 des services vétérinaires. Ces derniers dont les numéros sont connus au niveau de toutes les communes sont tous joignables en cas de danger», rassure encore M.Aouadi.
Les citoyens rencontrés ne sont pas tous du même avis. «En tant que citoyen, je constate qu'il y a vraiment un manque de prise de conscience de la part de mes semblables», s'alarme Ammi Mohamed propriétaire d'un taxiphone qui fait face à la nouvelle Mosquée au centre-ville d'El Kala. «Les gens doivent comprendre que le moment est grave», ajoute-t-il avant de regretter qu'il lui est impossible de conseiller un voisin: «Les rares fois où j'ai essayé de dire aux gens de confiner leur volailles, ils ont mal pris la chose», «circulez et vous constaterez de vous-mêmes que des poules circulent, malgré tout, au centre-ville». Quelques jours auparavant, l'association pour la découverte et la protection de la nature à El Kala, présidée par Belghite Abbas, s'affole et tire la sonnette d'alarme.
Elle saisit les autorités locales, et les exhorte à organiser une rencontre nationale sur la grippe aviaire et qui fera participer toutes les parties concernées. L'association a nié le fait que les autorités locales aient pris les dispositions protectrices contre la maladie. Elle va même jusqu'à dénoncer l'absence du matériel qui permet la surveillance et le mouvement des oiseaux migrateurs. Elle dénonce l'absence de campagne de sensibilisation des habitants de la wilaya notamment ceux qui résident autour des lacs.
La cellule de prévention et de suivi de la wilaya d'El Tarf surveille en permanence quelque 1500 hectares répartis sur 11 zones contrôlées par les 17 vétérinaires que compte la wilaya. Le recensement hivernal des oiseaux d'eau effectué durant le mois de janvier 2006 à travers le complexe des zones humides a atteint le nombre de 23.401 ( lac Tonga, Oubeira, Lac des oiseaux, Lac bleu, barrage de Cheffia, barrage de Mexna, marais de Mekhada et de Graat el Ouaz ). Ils rassemblent environ 34 espèces.
L'Est algérien est en première ligne d'une pandémie qui serait induite par un virus mutant de la grippe aviaire. Mais il ne semble pas se préparer à cette bataille contre laquelle l'alerte a été donnée lors d'un conseil des ministres afin que chaque Algérien puisse être «protégé ou soigné en cas d'apparition de la maladie». Ce coup de clairon ministériel annonçant la mobilisation générale n'a pas été très entendu à l'Est.


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