«Je suis furieux contre la France», crie Mahamane Rabiou Bachir: à Niamey, la colère et l'indignation ne retombent pas, une semaine après la décision de Paris plaçant en zone rouge l'ensemble du Niger à l'exception de la capitale Niamey. «Si la France va jusqu'à classer le Niger en zone rouge, alors c'est très simple: qu'ils (les Français) ferment leur ambassade et leur base militaire» qui abrite la force antijihadiste Barkhane près de Niamey, lance-t-il, la voix étouffée par les bruits des moteurs et les klaxons. Paris a placé l'ensemble du Niger en zone rouge, à l'exception de la capitale Niamey, soit «formellement déconseillée», à la suite de l'assassinat de huit personnes dont six humanitaires français par des hommes armés à moto près de Niamey. Les jeunes humanitaires français, deux hommes et quatre femmes, ont été assassinés le 9 août avec leur chauffeur et leur guide nigériens, alors qu'ils visitaient la réserve de girafes de Kouré, à 60 km au sud-est de la capitale où ils étaient basés. Avant l'attaque qui n'a pas été revendiquée, la partie sud du pays était en zone orange (déconseillée sauf raisons impératives) et la route menant à la réserve naturelle où l'attaque a eu lieu, ainsi que la ville voisine de Kouré, en jaune (vigilance renforcée avec risques limités «compatibles avec le tourisme»), selon les conseils aux voyageurs diffusés sur le site diplomatie.gouv.fr. En revanche, la région de Tillabéri dans l'ouest, riveraine des «trois frontières» entre Niger, Burkina Faso et Mali, devenue un repaire des jihadistes sahéliens, dont l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), est plus que déconseillée. La capitale Niamey passe elle du jaune au orange. Elle devient ainsi la seule exception sur une carte du Niger intégralement classée rouge. «Tout Nigérien soucieux de la dignité de ce pays s'est senti humilié dans sa chair. Le Niger en rouge! Mais ils n'ont qu à partir bon sang, ils n'ont qu'à partir», martèle Alahé Tahirou, un fonctionnaire nigérien. Juriste et enseignant à l'université de Niamey, Amadou Hassane Boubacar, dénonce «une sanction de Paris». «La décision est vraiment scélérate, c'est une expédition punitive à l'encontre de l'ensemble des Nigériens», fulmine-t-il. «J'exhorte le gouvernement nigérien à protester (...) c'est totalement arbitraire et à la limite c'est du mépris à l'endroit du peuple nigérien», peste-t-il. Les protestations retentissent aussi sur les réseaux sociaux où une carte du Niger totalement en vert est largement partagée en signe de contestation avec la mention: «Je suis un pays de paix et d'hospitalité légendaire, je suis le Niger». «C'est une décision injuste qui décourage tous les efforts fournis depuis plus de cinq ans par les autorités et les Forces de défense et de sécurité pour préserver l'intégrité du territoire entouré de nombreux foyers de tension», s'est insurgée dans un éditorial, Télé Sahel, la télévision d'Etat nigérienne. Elle estime que Paris a pris sa décision «sous le coup de l'émotion, donc de la panique». La Confédération générale des syndicats libres du Niger (CGSL), une importante centrale syndicale, fustige également «l'attitude précipitée, provocante et irrespectueuse de la France». Bello Alou, un jeune mécanicien nigérien minimise cependant les accusations contre l'ancienne puissance coloniale: «C'est aussi notre faute, il n'y a pas suffisamment de sécurité, il y a trop de bandits dans le pays» reconnaît-il. «Il y a même des risques de semer la panique chez les investisseurs alors que l'économie (du Niger) est déjà éprouvée par le coronavirus», s'alarme Ali Maman, un opérateur économique. Pour la neuvième année consécutive, le Niger vient d'être classé dernier Etat en terme d'Indice de développement humain (IDH) par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le Niger fait face à ces menaces sécuritaires grandissantes alors que se profile en décembre une élection présidentielle au fort enjeu. Le président Mahamadou Issoufou, après deux mandats, ne se représente pas. L'un des piliers du pouvoir, l'ancien ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum, sera candidat du parti présidentiel. «Cette élection (...) serait un grand hold-up en vase clos, si la ‘'zone rouge'' persiste et qu'elle empêche aux observateurs internationaux crédibles d'être là» pour superviser les scrutins, s'inquiète Ibrahim Yacouba, l'ex-chef de la diplomatie devenu opposant et candidat à la présidentielle du 27 décembre.