On s'y attendait un peu, beaucoup, certainement. Le cessez-le-feu annoncé, avec tambour et trompette, par Fayez al Serraj, au titre du gouvernement d'union nationale (GNAZ) reconnu par les Nations unies et Salah Aguila Issa, président du Parlement basé à Tobrouk, dans l'Est de la Libye, portait en soi la marque d'un fantôme dont ni l'un ni l'autre des deux communiqués ne faisait mention: le maréchal Khalifa Haftar semblait ainsi jeté aux oubliettes, une suite «logique» des multiples revers que ses troupes ont accumulés depuis janvier dernier, au point de perdre et le terrain conquis en Tripolitaine et le crédit qui en dépendait forcément. Voilà qu'hier, son porte-parole, le général al Mesmari, s'est fendu d'une critique inattendue de l'annonce d'un cessez-le-feu qu'il assimile à un «coup médiatique» sans aucune incidence sur les réalités du terrain, attribuant au passage la manoeuvre au GNA de Fayez al Serraj qu'il accuse sans fard de préparer l'offensive militaire sur la ville stratégique de Syrte. Il y a là de quoi être perplexe, Salah Aguila ayant été jusque-là un soutien sans faille du maréchal Haftar. Il a certes pris quelque distance avec lui, au lendemain de la déroute essuyée par le maréchal dans l'Ouest libyen mais, surtout, il s'est éloigné de sa démarche selon laquelle la solution de la crise est militaire pour constater qu'elle ne peut être que politique, conformément aux résolutions des Nations unies et aux recommandations de l'Union africaine, de la Ligue arabe et du Groupe des pays voisins de la Libye, dont l'Algérie. Dans leurs communiqués respectifs, Fayez al Serraj et Salah Aguila ont également évoqué l'organisation prochaine d'élections législatives et d'une présidentielle, deux étapes fondamentales que la feuille de route onusienne élaborée par l'envoyé spécial du SG de l'ONU, Ghassan Salamé, pensait valider lors de la conférence de Ghadamès, une semaine avant le déclenchement de l'offensive de Haftar sur Tripoli. «C'est du marketing médiatique. (...) La vérité, c'est ce qui se passe sur le terrain», a ainsi commenté, dans la nuit de dimanche à lundi, le général Ahmad al-Mesmari, dans une réaction surprenante du clan Haftar. Est-ce parce que Fayez al serraj a réitéré la position qu'il martèle depuis des mois, à savoir qu'il n'est plus question de «parler avec Haftar» dont il estime, avec la Turquie, qu'il s'est définitivement exclu de la scène politique libyenne? S'appuyant sur une carte d'état-major appropriée à l'enjeu de Syrte, stabilisé de manière précaire, actuellement, al Mesmari a crié au loup en affirmant que «les forces pro-GNA ont l'intention d'attaquer nos unités à Syrte et à Joufra puis avanceront vers la zone du Croissant pétrolier», plus à l'Est en direction des principaux terminaux pétroliers du pays. «Au cours des 24 dernières heures, nous avons observé des navires et des frégates turcs avancer vers Syrte (...). Nous riposterons à tout acte hostile», a-t-il averti. Et c'est à la faveur d'une déclaration à la télévision saoudienne Al-Arabiya Al-Hadath, qu'il évoque une chose et son contraire, approuvant le cessez-le-feu tout en en rejetant le texte «rédigé, selon lui, par Ankara». À noter qu'il n'a fait référence en aucune manière au texte de Salah Aguila, dont le rôle est prépondérant au sein des «autorités de l'Est». Et al Mesmari aura beau faire table rase du fait que le cessez-le-feu a été salué par l'ONU, l'UA, l'UE et d'autres organisations, il n'en demeure pas moins qu'il constitue une épine dans le pied de Haftar qui aura du pain sur la planche pour relancer sa campagne en faveur d'une solution militaire du conflit libyen, alors que ses principaux soutiens, surtout l'Egypte, ont contribué activement à apaiser les tensions.