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Constat sur le management public
Leadership, gouvernance et développement en Algérie
Publié dans L'Expression le 02 - 09 - 2020


Kamel Garoui *
Lors de la rencontre «gouvernement-walis des 12 et 13 août, les plus hautes autorités de l'Etat se sont beaucoup plaintes des blocages systématiques que subissent les décisions qu'elles prennent pour la transformation de l'économie et le développement du pays. Dans la présente contribution, nous soutenons que la solution à ce problème est subordonnée principalement à l'instauration d'un leadership efficace à tous les niveaux de notre administration.
Peu de choses sont aussi vitales que le leadership pour les activités humaines. Il est au coeur de la bonne gouvernance. Il aide les gouvernements dans l'accomplissement de leurs missions. Aussi, c'est de lui que dépendent le succès et les bonnes performances des entreprises économiques. Au contraire, l'absence ou le manque de leadership a un impact néfaste sur les organisations publiques ou autres, qui, de ce fait, stagnent et n'innovent pas.
Il existe en Algérie une forte croyance en matière de management du secteur public national qui veut que si la décision est prise à temps et correctement - comme par ex. la formulation des recommandations issues des rencontres gouvernement-walis ou des travaux des tripartites (gouvernement, patronat et syndicats), équipement avant le 31 décembre 2020 des commerces de terminaux de paiement électronique (TPE), etc. - alors les choses se passeront bien. Rien n'est plus éloigné de la réalité!
La décision en elle-même ne change rien à la situation - ce n'est qu'un premier pas. Après la prise de décision, les responsables auront affaire au complexe problème de l'implémentation, i.e. la réalisation effective des décisions à temps et de manière effective, ou plus précisément la traduction en actions concrètes des stratégies, des plans et des recommandations en vue de concrétiser la vision et les objectifs stratégiques assignés.
La liste des pièges
L'absence d'implémentation ou d'exécution est le plus grand obstacle freinant la réussite de quantité de politiques publiques. L'implémentation effective de stratégies est, en elle-même, une véritable discipline faisant appel aux bonnes pratiques en matière de leadership et de management. C'est un ensemble spécifique de comportements et de techniques que les responsables des organisations à tous les niveaux doivent continuellement acquérir, développer et diffuser. La difficulté de l'implémentation est en rapport principalement avec l'influence des leaders sur les comportements humains, le changement du cours des événements et le contournement des résistances et des inerties.
De manière générale, on cite les pièges listés ci-dessous comme freinant la mise en oeuvre de politiques ou de stratégies en Algérie:
-un mauvais leadership: un style de leadership démotivant, irresponsable et non engagé de la part des responsables a tous les niveaux, ayant un impact néfaste sur l'exécution de stratégies;
-une structure organisationnelle inadéquate: de mauvaises coordination, collaboration et communication entre les différentes parties prenantes, impactant négativement l'exécution de stratégies. Le même résultat est atteint avec une mauvaise délimitation des responsabilités, un système de récompense/incitation inadéquat et le manque de mesure des performances;
-des ressources allouées inadéquates: il s'agit ici surtout de ressources humaines, qui sont souvent insuffisantes en termes de quantité et de qualité par manque d'expérience, de formation et de qualification;
-une mauvaise compréhension de la stratégie par les personnels: la stratégie est très souvent formulée par une poignée de responsables et de spécialistes, et à ce titre elle demeure accessible ou compréhensible par les seuls managers d'un certain niveau de responsabilité. Ceci pose un énorme problème. En effet si la stratégie est formulée par un groupe restreint, sa mise en oeuvre, en revanche, incombe à une multitude de parties prenantes, composées d'organisations et d'individus;
-une faible implication des responsables durant la phase implémentation: parce que celle-ci prend beaucoup plus de temps et implique un très grand nombre d'acteurs, les hauts responsables pensent que la prise en charge de cette phase est dégradante ou au-dessous d'eux, et très souvent ils la délèguent ou plutôt s'en déchargent au profit des employés subalternes. Ceci est néfaste parce que l'implémentation implique des responsabilités à tous les niveaux hiérarchiques.
Dans ce qui suit, les nobles rôles et missions du leader et du manager efficaces seront explicités et leurs bienfaits mis en relief.
Le leadership est le processus par lequel une personne influence les pensées, les attitudes et les comportements d'autres personnes. Il est différent du management. Les deux acteurs sont nécessaires au succès des organisations. Ils constituent deux systèmes d'actions complémentaires mais distincts; chacun disposant de ses propres fonctions et activités.
Le rôle du management
Le management est lié à «la complexité». Il constitue une solution à l'émergence au vingtième siècle d'organisations immenses et complexes. Le leadership, par contre, est en relation avec «le changement». Dans le monde actuel des affaires, qui devient de plus en plus concurrentiel et volatile, le leadership prend une importance toute particulière. Plus de changements, exigent plus de leadership.
Aujourd'hui, dans nos administrations et nos entreprises, on commence à donner de l'importance au management, mais beaucoup moins d'importance au leadership. Ces deux fonctions sont différentes: faire face à la complexité et faire face aux changements, dénotent de la différence entre le management et le leadership.
Chacun des deux systèmes d'action implique successivement: le recueil de l'information/renseignement et analyse de la situation, la prise de décisions sur ce qui doit être fait pour répondre à la situation, la création d'un réseau de relations aux fins d'accomplir l'agenda de ce qui doit être fait et enfin le contrôle de la réalisation de l'agenda.
La production du changement
Toutefois, le manager et le leader exécutent différemment ces trois actions.
Vision et planification: les organisations managent la complexité au moyen de la planification - fixation d'objectifs, élaboration d'un plan d'action détaillé pour la concrétisation des objectifs assignés, et allocation des ressources nécessaires à l'accomplissement du plan. Au contraire, mener une organisation à un changement débute par la fixation d'une direction - développement d'une vision attrayante pour le futur (comme par exemple la transformation de l'économie en Algérie ou la généralisation d'emploi par les commerçants de terminaux de paiement électronique), avec mise en oeuvre d'une stratégie permettant la réalisation des changements indispensables à l'atteinte de la vision.
Etant donné que le leadership sert à la production du changement, la détermination du sens de ce changement est fondamentale. La détermination de la direction du changement n'est en rien équivalente à la planification.
Alignement et organisation des personnels: le manager se donne les capacités de réalisation de son plan en mettant en place une organisation avec des personnels qualifiés - détermination d'une structure organisationnelle et des tâches nécessaires à l'exécution du plan, mise en place des personnels qualifiés nécessaires à l'exécution des tâches, communication du plan à ces personnels, délégation des responsabilités, etc. L'activité équivalente pour le leader porte sur l'alignement des personnels. Ceci porte sur la communication de la nouvelle direction à tous les intervenants afin qu'ils s'approprient la nouvelle vision et deviennent impliqués dans son achèvement.
L'une des caractéristiques majeures dans les organisations modernes est l'interdépendance des personnels en raison des spécificités du travail moderne, des nouvelles technologies de la communication, des méthodes actuelles de management, etc. Cette interdépendance donne lieu à un véritable challenge et à de grandes difficultés quand l'organisation désire procéder à des changements. Pour réussir les changements désirés il est nécessaire que la masse critique des personnels s'oriente dans le sens du changement. Pour les dirigeants des organisations qui souvent disposent de compétences appréciables en management et de peu de compétences en leadership, ce problème apparaît comme une question d'organisation, alors qu'en réalité c'est un problème d'alignement.
Motivation et contrôle
L'alignement des personnels sur la vision aboutit aussi à leur empowerment - Ils se sentent puissants, responsables, impliqués et non vulnérables. L'une des raisons qui rend irréalisables les changements dans une organisation est l'impuissance relative de ses employés à tous les niveaux. Ils se sentent non concernés et ne prennent jamais d'initiatives et de décisions par peur de sanctions ou de représailles de la part de leurs supérieurs.
Motivation et contrôle: finalement, le manager s'assure de la réalisation du plan par le contrôle et la résolution des problèmes et conflits - mesure, de manière formelle et informelle, des réalisations par rapport au plan, au moyen de réunions, rapports, etc. A contrario, le leader achève la vision par la motivation et l'inspiration - amener son personnel vers la bonne direction, en dépit des obstacles et résistances aux changements, en faisant appel à leurs émotions, valeurs et besoins.
Afin de surmonter les résistances inévitables aux changements, il serait indispensable pour le leader de motiver les personnels et de susciter en eux des comportements très énergiques au travail.
Dans la logique du management, un contrôle permanent entre la réalité et le plan est exécuté, et les actions adéquates sont initiées quand des déviations ou écarts sont constatés.
Au même titre que le contrôle est central au management, un comportement hautement motivé est inspiré de l'ensemble des personnels et est central au leadership. Un bon leadership motive les personnels de différentes manières: impliquer les employés sur «comment» concrétiser la vision, investir sur la formation des employés ainsi que sur le développement de leur estime de soi, reconnaître et récompenser les succès. Pour conclure, commençons par affirmer, d'une part que les leaders ne se trouvent pas seulement au sommet, ils sont à tous les niveaux de la hiérarchie, et d'autre part que n'importe qui peut devenir un bon leader car cette caractéristique humaine n'est nullement l'apanage de quelques privilégiés. Nous affirmons aussi que le besoin pressant de leaders crédibles, fiables et créatifs à tous les niveaux du gouvernement est reconnu et relève du bon sens, mais peu d'initiatives sont prises pour résoudre ce problème critique au développement du pays. Dans un monde volatil, incertain, complexe et ambigu, nos organismes gouvernementaux ne peuvent pas se soustraire à des actions de développement généralisé et systématique du leadership en leur sein. Des projets bien préparés de développement des compétences de leadership sont essentiels aux succès des organisations nationales et des individus. Des leaders efficaces et bien formés seront à même, non seulement de satisfaire les nombreux besoins de développement socio-économiques de la nation, mais aussi de trouver des solutions innovantes aux défis complexes - globalisation, décentralisation, changements des technologies, etc. qui se posent déjà avec acuité à notre pays.
*Ancien cadre du ministère de la Défense nationale et de l'ex-ministère de la Prospective et des Statistiques, actuellement consultant-formateur en management.


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