Par Kamel Garoui* « Rien n'est plus important que des citoyens disposant d'outils leur permettant d'évaluer et de juger leurs dirigeants. » Joseph S. Nye. Pour espérer répondre aux préoccupations citées ci-dessus nous voudrions soutenir qu'aujourd'hui la première mission de nos pouvoirs publics doit porter, d'une part sur l'édification d'un Etat fort et stable, et d'autre part sur la promotion d'une économie productive et compétitive. Il faut souligner aussi qu'ils devront livrer une véritable course contre le temps en vue de la satisfaction des attentes de la population - notamment la jeunesse - en étant en permanence à son écoute. Il faut, en outre, insister sur la nécessaire promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie participative, ainsi que sur la lutte contre la corruption et toutes les autres formes d'atteinte à l'économie nationale. Les fonctions générales du management Pour espérer accomplir convenablement cette grande mission, le fonctionnement de notre gouvernement devrait être adapté en conséquence. Il s'agit bien de revoir le fonctionnement du gouvernement, i.e. comment le secteur public travaille-il? Et non pas de revoir son rôle, i.e. qu'est-ce qu'il fait comme travail. Par gouvernement il est plus question ici de la multitude d'agences du front en contact avec les publics et réparties à travers le pays (APC, Anem, Ansej, CNR, agences AT & postales etc.), que du Premier ministère et des départements ministériels situés à Alger. La gouvernance d'un pays s'articule, en gros, autour de trois niveaux, à savoir «la gouvernance politico-stratégique», «la gouvernance économique» et enfin «la gouvernance ou management public», correspondant globalement aux trois institutions: politico-militaire, économique et administrative. La présente contribution traite de la question de la refonte de la gouvernance publique. Bref aperçu sur la réinvention des gouvernements dans le monde. Le mouvement de réinvention des gouvernements est parti de pays développés (Australie, Canada, Nouvelle- Zélande, Royaume-Uni, USA, Suède, etc.) aux années soixante-dix du siècle dernier, suite au choc pétrolier de 1973-1974 qui donna lieu à une profonde crise économique mondiale, décrite comme une stagflation - un composé d'une très faible croissance économique et d'un taux de chômage élevé. À ce moment les citoyens de ces pays firent pression sur leurs dirigeants en exigeant la révision en profondeur, d'une part du mode de fonctionnement de leur gouvernement, et d'autre part de la relation gouvernants-gouvernés. Le mouvement préconisa l'introduction des fonctions générales du management dans le fonctionnement des gouvernements; de donner plus de pouvoir et d'autonomie aux managers; une orientation favorable à l'emploi des critères d'efficacité et de contrôle économique, et enfin la privatisation d'une large partie des services étatiques. Le secteur public faisait surtout face à un déplacement d'un paradigme de gouvernance appartenant à l'âge industriel - hiérarchique et centré sur les institutions, à un autre appartenant à l'âge de l'information - moins hiérarchisé et centré sur les publics. En traitant du mouvement de réinvention de la gouvernance publique, on ne peut passer sous silence les travaux d'Osborne et Gaebler. Dès 1992, dans leur célèbre livre «Reinventing Government: How the entrepreneurial spirit is transforming the public sector», ils vont définir les principes présidant à la modernisation des gouvernements. Pour eux, l'administration publique contemporaine - exactement à l'exemple de la nôtre - est lente, inefficiente et dépensière, en conséquence, elle doit être réformée par une «Perestroïka». Pour cela, ils proposèrent les 10 principes de fonctionnement d'un gouvernement entrepreneurial. Pour des raisons tant d'amélioration du service offert à nos publics que de diversification et de modernisation de notre économie, nos administrations sont tenues aujourd'hui de devenir efficientes. En effet, les publics - simples citoyens comme agents économiques, deviennent de moins en moins tolérants quant à des services publics lents et de mauvaise qualité. Autre indice alarmant, le déficit budgétaire projeté pour 2020 atteindra le chiffre record de près de 2000 milliards de dinars! Un chiffre qui ne s'explique pas par la seule dépense publique, dans, notamment l'industrie, l'éducation et les infrastructures de base. Ce déficit n'est pas seulement dû à la récession mondiale commencée en même temps que la pandémie du coronavirus en fin 2019. Il est aussi et surtout généré par une dépense publique quasiment incontrôlée. Pour ne parler que des projets d'investissement initiés à travers l'ensemble des wilayas du pays, en dépit de la volonté du gouvernement, ni les coûts, ni les délais, ni la qualité contractuels ne sont respectés pour cette multitude de projets. La nécessité de transformation de la gouvernance du pays est dictée aussi par la vulnérabilité de l'économie nationale en raison de sa très forte dépendance aux hydrocarbures, les dépenses exagérées et non optimisées de l'Etat, les impératifs de la mondialisation, etc. La réinvention du gouvernement Parmi les perspectives propres à la modernisation de notre administration nous pouvons citer: des prestations de services de qualité, convenant aux citoyens; des fonctionnaires et des employés bien formés et exerçant convenablement leurs missions et activités; des organismes crédibles, rationnalisant la dépense publique; des organismes travaillant en collaboration informatisés et reliés entre eux en réseau informatique. En toute logique, deux principes doivent constamment guider l'action de notre gouvernement, il s'agit de: 1/ les Algériens doivent être convaincus que l'argent que le gouvernement leur prend est dépensé à bon escient, et 2/ que celui-ci travaille pour eux, i.e. pour leur bien-être et leur sécurité. À ce titre, un immense effort doit être fourni à tous les niveaux du gouvernement pour passer d'une bureaucratie actuelle centralisée, rigide et dépensière à un gouvernement entrepreneurial, décentralisé et flexible, pour reprendre une expression de Osborne et Gaebler. Le choc pétrolier de 1973-1974 Pour ce faire, la réalisation des sept perspectives, ci-après, peut constituer pour notre pays la solution. Ces perspectives, qui sont globalement des principes généraux applicables à n'importe quel pays, ont été appliquées avec succès dans nombre de pays durant les années soixante-dix suite au choc pétrolier de 1973-1974 et la grande crise économique qui s'en est suivie. la réalisation des perspectives 5, 6 et 7 propres au développement du savoir et de la compétence humaine, à l'instauration de la confiance gouvernants-gouvernés et au soutien aux entreprises économiques, est de nature à booster le développement socio-économique du pays. Perspective - 1/ La diminution de la taille du gouvernement (downsizing): on peut se poser la question de savoir à combien revient à la communauté le gouvernement en pourcentage par rapport au PIB, ou de celle du nombre d'employés au gouvernement comparé au total des travailleurs en Algérie. À vrai dire, on n'a pas vraiment besoin de ces deux chiffres pour affirmer, sans risque aucun de se tromper, qu'avec les années la bureaucratie nationale est devenue, d'une part immense et pléthorique en termes de personnels, d'infrastructures et de moyens matériels en exploitation, et d'autre part tentaculaire et impliquée dans trop d'activités. Ceci ne s'est nullement traduit par plus d'efficiente, bien au contraire, ce gigantisme constitue le premier facteur de blocage pour l'épanouissement de pratiques entrepreneuriales au sein de notre gouvernement! Perspective - 2/ La révision en profondeur des processus de travail: le gouvernement doit pousser à la concurrence entre ses services et avec des partenaires privés externes. La concurrence ou la compétition est la première force qui pousse les organisations à s'améliorer continuellement. Instauration de la transparence Perspective-3/ L'instauration de la transparence et de la redevabilité: le gouvernement doit restituer aux publics - citoyens et agents économiques, le droit de regard sur le fonctionnement de ses services. Il doit permettre une ouverture franche sur ses informations, ses lois, ses projets, ses plans, ses processus, ses actions, etc. aux fins de s'auto-obliger à agir de manière visible et prévisible, et ainsi permettre aux simples citoyens de s'occuper des affaires publiques qui les concernent et d'influencer la prise de décisions par les responsables. Il doit faire de la transparence - clarté dans ses intentions et ses objectifs, ouverture sur les informations propres à ses projets, langage de la vérité sur les résultats - un objectif central. Perspective - 4/ La recherche de la satisfaction des publics: la satisfaction du citoyen en matière de service public suppose une approche centrée sur celui-ci de la part de l'administration, i.e. livraison effective du service ‘‘à temps'' ‘'avec professionnalisme ‘‘en adoptant une attitude polie et sympathique'' ‘'avec fourniture de toute information ou documentation utile''. Perspective - 5/ L'instauration de la confiance entre les dirigeants et les citoyens: la confiance entre les gouvernants et les gouvernés dans notre pays constitue l'ingrédient le plus important sur lequel sont construites la légitimité et la pérennité du système politique en place. La confiance prend forme quand l'une des parties développe un certain niveau de perception favorable sur l'autre partie, et réciproquement. Perspective - 6/ Le développement de la ressource humaine et la promotion de la connaissance: pour que l'Algérie redevienne compétitive en cet hostile XXIe siècle, il lui faut exploiter convenablement son potentiel du «savoir». Perspective - 7/ Le soutien aux entreprises économiques: la puissance de notre nation est aujourd'hui principalement liée à la performance collective de ses entreprises. En effet, ces dernières sont les rapporteurs exclusifs de la richesse, et elles constituent les vecteurs principaux du nationalisme économique, indispensable à la création d'emplois nombreux, qualifiés et bien rémunérés. Ce qui est synonyme pour notre Etat, primo au niveau intérieur: de stabilité et de cohésion sociale, et secundo au niveau international: de capacité d'action et d'influence. *Ancien cadre du ministère de la Défense nationale et de l'ex-ministère de la Prospective et des Statistiques. Actuellement consultant-formateur en management.