La France subit les conséquences de sa politique internationale ambiguë. La première étincelle a jailli à la Sorbonne. Mais le gouvernement n'a pas entendu la colère-tonner, n'a pas jugé utile de réagir au tout début de la contestation. L'illusion d'un épuisement du mouvement trottait dans les esprits. Les tourments de l'automne dernier dus à la crise des banlieues ont été vite oubliés parce que assimilés à des revendications ethniques. Le gouvernement est sorti indemne de la crise. C'est le plus important. La solidarité gouvernementale a été payante. Le contrat première embauche (CPE) a mis le feu aux poudres. Le feu s'est propagé hors de la Sorbonne, hors de Paris, hors des campus universitaires puis a pris dans d'autres endroits, dans la rue, a enflammé les syndicats puis la classe politique; le mouvement est devenu dès lors une affaire nationale, avec des ingrédients insurrectionnels, avec toutes les conséquences qu'il puisse générer sur les recompositions politiques et sociales à venir. Le parallèle a été fait avec mai 68. En replaçant le débat dans le contexte de l'époque, on se rappelle que la France venait de sortir d'une mutation épuisante due aux questions de décolonisation qui la tiraillaient de l'intérieur. Le mouvement de mai 68 avait sonné le glas d'une époque en annonçant une ère nouvelle. Depuis, l'ancienne garde a dû céder de son espace pour les nouvelles élites. La France a connu un nouvel élan en réussissant à rentabiliser ses potentialités. Elle a pu s'insérer dans les équilibres régionaux en gardant son autonomie. Aujourd'hui, les mêmes questionnements reviennent. La classe politique actuelle est immature. Les nouveaux gourous de la politique font du fast-food de la politique. Ils sont venus de différents horizons et se sont installés sur les plateaux de télévision, pour ne plus les quitter. Désormais, rien ne se fait sans mise en scène, sans spectacle. Ils lancent leurs grandes phrases. En face, les jeunes veulent vraiment savoir si les nouveaux gourous ne sont pas devenus séniles si prématurément. Parce qu'ils arnaquent par des lois scélérates. Il faut avouer que le gouvernement algérien a devancé son homologue français dans une initiative similaire, mais la réaction n'a pas été aussi vive parce qu'ici la démocratie a été chassée de la rue par les bruits de bottes. Le CPE a ébranlé la communauté estudiantine. Mais le gouvernement Villepin s'entête à ignorer les sommations qui annoncent un malaise profond. Hier, on disait qu'on avait affaire à des voyous de banlieue. Qu'en est-il aujourd'hui? Depuis la chute du mur de Berlin, la France s'est rangée derrière les Etats-Unis qui se sont autoproclamés gendarmes de la planète. La France a été un allié inconditionnel de l'Amérique dans la Guerre du Golfe puis dans l'appréciation du conflit israélo-arabe, tout en essayant de garder une marge de manoeuvre en boudant, par exemple, l'invasion de l'Irak. Cette politique coquine lui a fait perdre beaucoup de marchés. Ce recul s'est fait sentir sur l'emploi par le rétrécissement des débouchés. La classe politique -nouvelle- qui est en train de s'amarrer porte en elle les germes des pères fondateurs du colonialisme. La loi du 23 février en est la meilleure illustration de cet état d'esprit. Lorsque Bush a envahi l'Irak, les nouveaux gourous disaient: «L'Amérique n'a pas d'expérience colonialiste». Ils insinuent que la France en a suffisamment. Les agissements des nouveaux gourous sont là pour démontrer qu'il est encore possible de prendre les richesses d'autrui par la force car l'Amérique le fait. Mais les jeunes générations voient l'avenir autrement. Elles voient leur avenir menacé par les fuites en avant. Le CPE confirme ces appréhensions. Les syndicats dans leur écrasante majorité soutiennent le mouvement de protestation. La gauche fait front commun avec les étudiants. La majorité est divisée. Cette fois-ci, la solidarité gouvernementale n'a pas pris. La compétition électoraliste a primé. Le président Chirac veut garder un semblant d'autorité sur ses troupes. Il veut en même temps se placer au-dessus de la mêlée en montrant un visage conciliant envers ses compatriotes. Pendant que le Conseil constitutionnel valide le CPE. Les journaux expriment leur solidarité avec le mouvement en s'abstenant des étals mardi dernier. Chacun met de son sel comme pour mieux noyer le poisson. Mais la question lancinante reviendra tôt ou tard: combien durera l'intervalle d'une insurrection à une autre jusqu'à ce que les gourous comprennent que la France des valeurs universelles mérite mieux? Les étudiants de la Sorbonne ont été les précurseurs d'un mouvement de contestation de l'ordre établi qui sonne le glas de la Ve République. Mais on refuse de le voir parce que les nouveaux gourous agissent plus aisément dans une France aliénée.