Le président de la République lui a décerné une médaille de reconnaissance ainsi qu'un diplôme. «De toutes les manières (...), le génie n'est qu'un prêt: il faut le mériter par de grandes souffrances...»; Sartre, en alignant ingénieusement ces mots savait bien de quoi il parlait. Il savait pertinemment que ses paroles écrites ou transcrites s'appliquent à tous les doués du monde, à tous les artistes et créateurs de la planète. Et nous, nous l'appliquons à l'un des chantres de la chanson kabyle: Akli Yahiatène. Sa voix retentit encore en dépit de son âge avancé. Néanmoins, comme diraient ceux qui s'agrippent au «bateau ivre» de la vie qui court au chavirement irrémédiable, «la jeunesse, c'est dans la tête». Da'Akli ressemble bien à ses chansons. Il garde toujours leur force et leur sagacité. Cela, on a pu, comme tous ses admirateurs, le constater jeudi dernier, lors de son passage à l'émission Tivougharine, diffusée sur les ondes de la Chaîne II de la radio algérienne. Bien avant le début de l'émission, dans le hall de l'Auditorium, les invités attendaient avec impatience l'arrivée de celui sur qui toutes les lumières seront braquées. Da'Akli arrive enfin. Une petite collation est organisée en son honneur. Mais les honneurs ne s'arrêtent pas là. Le président de l'association de la Fédération de France, M. Benyounès, lui remit une médaille de reconnaissance ainsi qu'un diplôme, attribués par le président de la République, M.Abdelaziz Bouteflika. L'artiste n'en revenait pas de sa surprise. Sa joie était à son comble. Il est souvent bon de se sentir considéré à sa juste valeur par les siens! Ce sentiment est d'autant plus grand lorsqu'on s'est donné à fond à son pays. En outre, lorsque la vingt-et-unième heure «faufile» dans le cadran, et que tous les invités ont pris place, l'animateur de l'émission, Arezki Azzouz, annonce le début de la soirée. L'orchestre composé de quatorze musiciens et d'une chorale, dirigé sous la baguette du maestro Rabah Tissilya, se met en position, prêt à accompagner Akli Yahiatène. Ce dernier ne tarde pas à arriver pour se mettre aux cotés de l'animateur. Après quelques mots de présentation, Da'Akli se lève pour interpréter l'une des chansons phares de sa carrière: Thamourthiw (Mon pays). L'homme est debout, face à son public. Emmitouflé dans sa costume noir. Mine bien portante. Moustaches taillées, parsemées de quelques poils gris. Apparemment, Da'Akli n'a rien perdu de sa jeunesse. Dire qu'il a soixante-treize ans! Il prend donc son luth, ce fidèle compagnon des moments noirs de l'artiste. Il le serre contre sa poitrine, comme on serre l'être aimé. Puis il se lance dans les rouages de sa chanson. Les mots coulent d'eux-mêmes. Et l'orchestre le suit, comme pour lui montrer le chemin, tout comme ce chemin de fer qu'il a suivi alors qu'il était jeune, pour se rendre à Alger. L'anecdote vaut bien le détour. L'on raconte que Akli Yahiatène, pour venir à Alger, a emprunté la voie ferrée. Une sorte de randonnée pédestre prolongée. «Excusez moi. Je suis grippé. Veuillez me pardonner si j'ai commis une quelconque erreur», s'excusa l'artiste avec modestie. Mais tout le monde s'accorde sur une chose: la timidité a toujours cerné l'artiste. Et comme c'est amusant de surprendre un vieux dans sa timidité! Qu'à cela ne tienne. Ainsi, après Thamourthiw, survient tout un chapelet d'autres chansons. Néanmoins, celles qu'il a interprétées en duo avec l'autre géant de la chanson kabyle, Lounis Aït Menguellet, sont les meilleures. Lorsque Arezki Azouz proposa cette idée, Da'Akli interroge Ait Menguellet: «Laquelle tu veux qu'on chante ensemble?». «C'est à toi de choisir» répliqua Lounis. Et en fin de compte, on opta pour Jahagh nak mezal da mezyan (Ma jeunesse perdue); notez que ce titre est intraduisible. La fusion des deux voix a donné un nouveau visage à la chanson. Les deux artistes, soit dit en passant, se produiront ensemble le 7 mai prochain au Zenith, à Paris. La soirée prend fin vers les coups de minuit. Tout comme Jean Paul Sartre qui poursuit sa phrase: «de toutes les manières (...), le génie n'est qu'un prêt (...) on finit par entendre les voix et l'on écrit sous la dictée».