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«On risque d'être à court de soldats» Professeur Riad Mokretar Kharoubi, chef de service d'anesthésie-réanimation du CHU de Beni Messous, à L'Expression
L'Expression: Bonjour professeur, comment se présente la situation sanitaire en général et au CHU de Beni Messous en particulier? Professeur Riad Mokretar Kharoubi: La situation sanitaire dans le pays est marquée par une augmentation importante du nombre de contaminations. On se dirige incontestablement vers une deuxième vague, si nous ne sommes pas déjà dedans. Inévitablement, le CHU de Beni Messous, qui est le plus grand centre d'accueil des patients contaminés par le coronavirus du pays, la situation est difficile car cette recrudescence de l'épidémie est arrivée vite et fort. On s'attendait à un «retour en force» de l'épidémie, mais pas aussi rapidement. Elle nous a frappés de plein fouet, ce qui a créé de la difficulté dans la prise en charge immédiate des patients. Il faut savoir que nous avons mis en place un «process» pour filtrer les malades afin que les cas les plus graves soient rapidement pris en charge. Cela à travers un centre de tri. Celui-ci a connu, ces derniers jours, un afflux «violent» des patients. Une situation stressante pour le personnel médical mais aussi pour les patients du fait qu'il a été très difficile de leur trouver des places. Ce centre de tri, dirigé par le professeur Khalafi, a donc reçu le «choc». Néanmoins, malgré la difficulté, le travail de coordination entre les différents services de l'hôpital a permis à ce que tous les patients reçoivent leurs soins d'urgence, essentiellement l'oxygénation et les injections intraveineuses. L'hôpital est donc débordé. Quel est le taux de remplissage actuel, notamment le service que vous dirigez? Oui, l'hôpital est plein! Les services du Covid-19 ont vite été débordés, nous avons dû en ouvrir d'autres. Il faut savoir qu'en temps normal, il y a sept services qui sont dédiés à le prise en charge des patients Covid et deux autres (la cardiologie et la gynécologie) qui, en plus de leurs activités habituelles, réservent un nombre de lits fixes pour les patients du Covid-19. Actuellement, il y a 11 services qui sont dédiés aux patients atteints du coronavirus. Ce qui représente presque les deux tiers de l'hôpital. Ces services sont quasiment pleins. La réanimation du Covid-19, que je dirige en collaboration avec les professeurs Hamidi et Harroubia, est très vite saturée. C'est le cas actuellement. Je dirais même plus, même durant «l'accalmie» des derniers mois, jamais le service de réanimation n'a désempli. Il était au minimum à 80% du taux d'occupation. Actuellement, nous sommes à 100% et il y a une demande quotidienne que nous n'arrivons pas à satisfaire. Les autres patients sont mis dans d'autres services pour un début de REA en attendant que des lits de réanimation se libèrent. Il y a un travail de collaboration de l'ensemble du personnel de l'hôpital afin de pallier cette situation d'urgence et faire bénéficier tous les patients des soins. Mais je tiens à préciser que la situation est très délicate, voire difficile. Quel est le profil des patients admis en réanimation? Là aussi pour être précis en épidémiologie et en statistiques, il faut attendre un certain temps pour établir ce profil. Toutefois, ce que je peux vous dire c'est que l'on a constaté que c'est pratiquement le même profil de patients que ceux que l'on a eu lors de la première vague. Il y a cependant, une petite diminution de la moyenne d'âge. Mais le profil est le même, c'est-à-dire des patients âgés de plus de 60 ans avec des pathologies chroniques, notamment cardiovasculaire, diabète et des maladies respiratoires. Sommes-nous dans une situation semblable à celle du pic du mois de juillet dernier? La médecine est une science exacte. Il faut attendre d'avoir toutes les données pour faire une telle affirmation. Néanmoins, sur le terrain tout indique que nous sommes dans la même situation, voire pire! On risque de dépasser ce pic avec une seconde vague plus dévastatrice que la première. Car, cette recrudescence intervient alors même que la reprise au niveau des écoles et des universités n'est pas encore effective. Ce sont des événements où l'on s'attend à ce que la circulation du virus augmente. Mais cette vague est arrivée avant, ce qui est le moins que l'on puisse dire inquiétant. Craignez-vous que les semaines qui arrivent soient plus difficiles que les jours que nous vivons actuellement? Effectivement, déjà maintenant c'est très difficile! Je vous cite un cas caricatural avec les médecins de l'hôpital atteint du Covid-19 qui ne trouvent pas de places dans l'établissement où ils exercent. C'est dire la situation dramatique dans laquelle nous sommes. Les prochaines semaines risquent donc d'être très très difficiles... Comment en est-on arrivé là? C'était prévisible. Nous avons tiré la sonnette d'alarme depuis un bon moment déjà en ayant constaté le relâchement des citoyens dans le respect des mesures barrières. Le virus circule, on le fait circuler avec le laisser- aller dont nous avons fait preuve depuis quelques mois. Je cite l'exemple des festivités de mariages, des circoncisions et autres rassemblements familiaux. Il y a aussi les clients qui se rassemblent dans des cafés ou restaurants sans aucune aération, tous sans bavettes. Il y a aussi l'absence de sanctions. Il a été adopté une attitude pédagogique de la part des autorités, mais cela n'a malheureusement pas donné les résultats escomptés. Que préconisez-vous pour éviter le pire? Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce sujet. J'en profite pour proposer une solution à même de permettre d'optimiser la prise en charge inter-hôpitaux. Actuellement, chaque hôpital travaille en vase clos. Il n'y a pas d'interactions entre les hôpitaux. Or, on aurait tout à y gagner s'il y avait une structure qui permet un échange en temps réel entre les hôpitaux. Une sorte de centre de régulation qui permettrait de savoir à la minute s'il y a des places de libres dans tel ou tel hôpital. Ce qui éviterait que les patients stagnent au niveau des centres de tri et y séjournent. Les nouvelles technologies permettent facilement de mettre en place ce genre de système. On a constaté qu'il y a des hôpitaux qui disposent de services de réanimation très compétents, mais qui ne sont pas utilisés. Ce système doit permettre de réduire la pression sur les hôpitaux en surcharge, tout en faisant tourner le personnel au bord de l'épuisement physique et psychologique qui combat cet ennemi invisible depuis presque 9 mois. Il y a également un nombre important de contaminations chez le personnel hospitalier. Dans mon service par exemple, j'ai 30 à 50% de personnel contaminé. On risque d'être à court de soldats au moment où on en a le plus besoin...