Soulagée par la victoire annoncée de Joe Biden, l'aile gauche du parti démocrate se prépare désormais à une nouvelle bataille, pour faire avancer ses idées auprès du centriste, avant qu'il ne forme un gouvernement. «Nous ne sommes plus en chute libre vers l'enfer mais la question reste de savoir si on va y gagner quelque chose», confie au New York Times la jeune élue du Congrès Alexandria Ocasio Cortez, devenues l'une des vedettes de la gauche américaine. Le sénateur socialiste Bernie Sanders - arrivé deuxième des primaires démocrates derrière Joe Biden - s'est mobilisé sans réserve en 2020 pour aider à faire gagner Joe Biden et Kamala Harris. Mais maintenant que la campagne est terminée, les divergences apparues pendant les primaires - sur une assurance santé pour tous, les frais de scolarité et prêts étudiants, ou les propositions de «New Deal vert» pour lutter contre le changement climatique en réduisant les inégalités - refont surface. «Biden représente au final la poursuite du statu quo», dit Chi Anunwa, co-présidente de l'antenne new-yorkaise du parti des Socialistes démocrates américains. «Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas soulagés que Trump soit battu, mais il est important de se souvenir que Trump était le symptôme extrême de problèmes systémiques qui plombent l'Amérique depuis longtemps.» Pour Mme Anunwa, 31 ans, la réélection d'«AOC» au Congrès - comme celles d'autres élues très à gauche, dont Cori Bush dans le Missouri, Ilhan Omar dans le Minnesota ou Rashida Tlaib dans le Michigan - montrent que les électeurs sont réceptifs à des idées plus radicales. Certains barons démocrates et des républicains modérés ont néanmoins blâmé la gauche pour certaines déconvenues électorales. James Clyburn, élu de la Chambre des représentants, a ainsi estimé que les appels de la gauche à réduire les budgets alloués à la police - mot d'ordre des manifestations Black Lives Matter qui ont agité le pays après la mort de George Floyd fin mai - avaient nui à certains candidats au Congrès comme à Joe Biden. Alexandria Ocasio-Cortez et d'autres, rejettent cette idée. Et font valoir au contraire le rôle qu'ont joué Ilhan Omar ou Rashida Tlaib dans certains Etats du Midwest, pour aider Joe Biden à prendre l'avantage. Bernie Sanders a lui vu des signes encourageants dans l'adoption d'un salaire-horaire minimum de 15 dollars en Floride, la légalisation du cannabis dans des Etats longtemps considérés républicains, le congé parental élargi dans le Colorado ou l'adoption d'une taxe sur les revenus élevés pour financer l'éducation publique en Arizona. «J'ai besoin que mes collègues comprennent que nous ne sommes pas des ennemis (..), que notre base n'est pas l'ennemie», dit Alexandria Ocasio Cortez. En marginalisant des problèmes qui touchent de près les Américains, les démocrates modérés risquent «l'obsolescence», dit-elle.. Pour Ben Burgis, professeur de philosophie qui réfléchit à la stratégie de la gauche, il est faux de penser que les idées de gauche braquent les électeurs. Les fans de Donald Trump sont loin d'avoir des opinions de droite «cohérentes», dit-il, et font plutôt «un doigt d'honneur à une élite» démocrate que beaucoup voient comme «nantie».Les démocrates pourraient gagner plus de voix en se concentrant sur des besoins matériels essentiels, dit-il. Certes, tous les électeurs de Trump ne suivraient pas, d'autant que certains peuvent être motivés par le racisme, souligne Chi Anunwa. Mais les démocrates doivent essayer de réveiller des électeurs dormants, et ne pas se limiter à «l'électeur urbain modéré». L'exemple de la Floride, qui a voté majoritairement pour Donald Trump tout en relevant le salaire-horaire à 15 dollars - un thème sur lequel Biden n'a pas centré sa campagne - montre qu'il y a des possibilités de gagner des voix avec des sujets de gauche. «Le travail de la gauche est de canaliser les frustrations envers le statu quo économique et politique (...) vers une vision positive de ce à quoi pourrait ressembler une société plus juste», dit-elle. Chi Anunwa reconnaît cependant que la gauche aura du mal à faire progresser ses idées si le Sénat devait rester dominé par les républicains. «Même si ça fait peur, il y a des possibilités, si on arrive à mobiliser suffisamment la base pour pousser le gouvernement Biden», dit-elle. «Juste parce qu'il a gagné ne veut pas dire qu'on doit se reposer et être complaisant.»