Le massacre de dizaines d'agriculteurs, samedi dernier, dans le nord-est du Nigeria met en exergue la défaillance de l'armée nigériane à protéger les communautés rurales prises pour cible par les groupes jihadistes au moment même où se profile une grave crise alimentaire. Samedi, des centaines d'hommes armés à moto ont attaqué des rizières situées à une dizaine de kilomètres de Maiduguri. Là, ils ont attaché des dizaines de travailleurs agricoles avant de les égorger. Qui sont les commanditaires et le message envoyé? De nombreuses zones d'ombre persistent autour de cette sanglante attaque, considérée comme «la plus violente» menée contre des civils cette année, selon l'ONU. Le nord-est du Nigeria est en proie à l'insurrection du groupe jihadiste Boko Haram depuis 2009. Mais en 2016, le groupe s'est divisé en deux factions: celle d'Abubakar Shekau, le chef historique de Boko Haram, et l'Etat islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap), affiliée à l'EI. Pour l'heure, le massacre n'a été revendiqué par aucune des deux factions. Les rizières attaquées «se trouvent à la frontière entre les zones d'influences des deux groupes, il est donc difficile de dire lequel de ces groupes est responsable», explique P Vincent Foucher, chercheur au CNRS.A première vue, les importants massacres de civils «ressemblent plus au modus operandi de Boko Haram», soulève Yan Saint-Pierre, qui dirige le centre d'analyse en sécurité Modern Security Consulting Group. L'Iswap est surtout connu pour lancer de grandes attaques contre les militaires et, dans sa zone d'influence, il cherche à tisser des liens d'influences et économiques avec les populations locales, selon les deux analystes. Néanmoins, «l'Iswap a lancé récemment de violentes attaques contre des civils, lorsque leur communauté refusait de payer l'impôt ou mettait sur pied des milices d'auto-défense pour leur résister», tempère M. Foucher, qui note «un durcissement au sein de l'Iswap». L'attaque s'est produite le jour des élections locales, les premières organisées depuis le début de l'insurrection en 2009, et maintes fois repoussées pour des raisons sécuritaires. Elle intervient également au moment où les autorités et les agences humanitaires encouragent les déplacés du conflit, retranchés dans des camps de fortune depuis des années, à regagner leurs localités et leurs champs pour éviter une crise alimentaire. Mais les motivations restent floues. Selon des médias locaux, qui citent des habitants, l'attaque aurait été lancée par les jihadistes pour venger un de leurs combattants arrêtés par des villageois et livrés aux autorités. Depuis septembre, il y a «une recrudescence des attaques sur les milieu agricoles, les fermes, les fournisseurs», note M. Saint-Pierre. Selon lui, ces attaques ont pour but de créer des pénuries, de déstabiliser les filières d'approvisionnement pour que les organisations terroristes puissent prendre le contrôle des secteurs agricoles. Plus globalement, après onze ans de guerre, le conflit «est dans une situation de blocage». Les jihadistes continuent de contrôler leur zone, sans réellement s'étendre, ni perdre du terrain. Les autorités arrivent à tenir les villes et utilisent l'aviation et l'artillerie pour harceler les insurgés, sans grandes avancées. Après avoir essuyé d'importantes pertes, l'armée a décidé fin 2019 de retirer ses soldats de ses bases avancées, régulièrement attaquées, pour les regrouper dans des «super-camps», mieux protégés et censés être plus efficaces. «Mais cette stratégie se traduit par une présence moindre des militaires dans les zones rurales», soulève M. Foucher. Depuis 2009, le conflit a fait plus de 36.000 morts au Nigeria et forcé 2 millions de personnes à fuir leur domicile. La plupart vivent dans des camps de déplacés à proximité des villes, et dépendent presque exclusivement de l'aide humanitaire pour survivre. L'ONU prévoit qu'en juin prochain, 5,1 millions de personnes se trouveront en insécurité alimentaire, soit une augmentation de 20% par rapport à l'année précédente. L'Algérie condamne vigoureusement l'attaque terroriste L'Algérie a «condamné vigoureusement» lundi l'attaque terroriste sanglante ayant ciblé des agriculteurs dans l'Etat nigérian de Borno (Nord-est) faisant des dizaines de morts, de blessés et de disparus, a indiqué un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Tout en présentant «ses condoléances les plus sincères aux famille des victimes, au gouvernement et au peuple nigérian frère», l'Algérie a réitéré «son entière solidarité avec le gouvernement du Nigeria et son soutien à toutes les mesures qu'il prendra pour l'éradication des groupes terroristes». «L'Algérie affirme son engagement à la lutte contre le terrorisme et son soutien aux efforts de la communauté internationale afin d'éradiquer ce fléau inhumain», a ajouté la même source.