Par Lyazid BENHAMI* Avec du recul et au regard des événements qui s'ensuivront en Algérie, ma dernière conversation avec Si L'Hafidh, et notamment la phrase ci-dessus, je ne peux m'empêcher de penser que c'était comme une prophétie. L'homme était vraiment à l'écoute des attentes de notre jeunesse, la recherche de la mémoire authentique, de la justice. En écrivant ses mémoires (réf), Si L'Hafidh avait le souci de l'historien, rapporter les événements vécus avec le plus de rigueur et d'honnêteté possibles. Il revenait incessamment sur les détails, les points d'arme, aux illustres militants et militantes inconnues qui ont sacrifié leur vie, leur famille pour que l'Algérie accède à son indépendance. Dans son second tome, il est le premier à fournir une liste aussi complète des martyrs de 1963 /1965 tombés au champ d'honneur, morts pour l'avènement du pluralisme politique et un état de droit. Ils sont morts en combattant la dictature de Ben Bella qui a usurpé le pouvoir avec son coup d'Etat contre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, le GPRA. D'ailleurs nous sommes au regret de constater qu'aujourd'hui encore, la question liée à la reconnaissance nationale de ces martyrs de 1963 reste en suspens, voire ignorée. Le commandant de la Wilaya III historique Yaha Abdelhafidh - dit Si-L'Hafidh, nous a quittés le 24 janvier 2016, déjà 5 ans. Revenir sur son passé glorieux, en totalité, semble difficile, eu égard à cette vie dense et trépidante, entièrement consacrée à la libération de son pays, l'Algérie et au combat pour la démocratie et la justice sociale. Issu d'une famille révolutionnaire originaire des Hauts-Plateaux de Kabylie vers Aïn-El-Hammam, son père, Yaha Bachir, ses frères Larbi et Amrane (prénoms qu'il donnera plus tard à ses enfants) sont tous trois morts pendant la guerre de Libération. Sa mère, Ouadda Djedgiga fut torturée à la gégène. Sa femme et ses soeurs n'ont eu de cesse de veiller à ce que les combattants de l'Armée de Libération nationale aient un lieu sécurisé, un lieu refuge pour se restaurer, et fuir dans d'autres villages pour ne pas être arrêtées ou torturées elles aussi. Dans les maquis de Kabylie, en tant que chef militaire, Si L'Hafidh était très respecté par ses soldats pour son courage, beaucoup disaient «c'est un baroudeur», mais aussi pour ses qualités humaines. Vis-à-vis de ses frères de combat, notamment morts au combat, il ressentira toute sa vie une forme de dette, la dette du survivant à tant d'horreurs. Il fut également respecté par sa hiérarchie, Amirouche et Mohand Oulhadj. Chef de la fameuse compagnie du Djurdjura, il eut à son actif bien des actions militaires glorieuses et, notamment l'épisode de la bleuite. Rares ont été les hommes qui ont survécu aux rouleaux compresseurs que furent les différentes opérations militaires françaises en Kabylie. Politiquement, souvent chargé de sensibiliser la population au combat du FLN dès ses premières heures, il était particulièrement connu pour sa force de conviction et pour sa clémence. Encore aujourd'hui des hommes et des femmes en témoignent. Après le cessez-le-feu, il était chargé de la sécurisation de Tizi Ouzou, et à certains moments de la périphérie d'Alger. Il nous laisse en héritage deux livres. Dans le premier, il décrit ses années de lutte au sein de l'Armée de Libération nationale, puis dans le second il évoque la longue et douloureuse période du combat politique au sein de la formation politique, le FFS, qu'il a fondé avec ses compagnons de route, Krim Belkacem, Mohand Oulhadj, Hocine Ait Ahmed et bien d'autres. Ce Front des forces socialistes qu'il a organisé et maintenu solide pendant trente années consécutives. Jamais un homme, n'a autant que lui, inlassablement, voué sa vie pour que vive une Algérie libre et démocratique. Nous rendons donc hommage bien sûr au commandant de la Wilaya III historique, au responsable politico-militaire, mais aussi à cet opposant politique incorruptible et visionnaire qui, jusqu'à son dernier souffle, s'est battu contre un système politique corrompu et inique. Si L'Hafidh nous a quittés, mais à travers ses idéaux il est plus vivant que jamais. Aujourd'hui, l'histoire lui a donné raison sur bien des aspects. Pour répondre à l'entêtement du pouvoir unique du président Ben Bella, Si L'Hafidh avec ses compagnons décidèrent de créer le Front des forces socialistes (le FFS) le 23 septembre 1963. Ce parti d'opposition s'est fixé comme objectif de freiner les appétits dévastateurs et égoïstes de ceux qui ont confisqué le pouvoir et spolié la Révolution au peuple algérien. Ferhat Abbas ira jusqu'à évoquer «une indépendance confisquée». Aussitôt la création de cette nouvelle formation politique, Ben Bella envoya ses troupes contre les militants FFS. Entre le mois d'octobre 1963 et le 16 juin 1965 (date de la signature des accords FFS-FLN), on dénombre des centaines de morts de militants au cours des affrontements avec les forces du pouvoir central. Si L'Hafidh conduit le combat armé contre le pouvoir autoritaire de Ben Bella pour dénoncer l'usurpation des idéaux du 1er novembre 1954. Le rêve d'établir un Etat de droit démocratique avec un multipartisme réel semblait s'évanouir. Si L'Hafidh fut le dernier chef militaire de cette coalition populaire qui s'est opposée au pouvoir de Ben Bella. Ce dernier finira par reconnaître le FFS. Si L'Hafidh fut le négociateur en chef des pourparlers avec Ben Bella. Les accords ont porté sur la reconnaissance officielle du FFS ainsi que sur la réhabilitation des combattants FFS de 1963-1965, ces martyrs sont morts pour leur patrie et pour l'établissement de la démocratie en Algérie. Trois jours après la signature de ces accords FFS/FLN, Boumediene, le chef d'état-major, exécuta son coup d'Etat le 19 juin 1965. En mettant fin à l'idée du pluralisme politique, il instaura une véritable dictature. Il tua dans l'oeuf l'espoir d'une Algérie démocratique et plurielle. Qu'on se le dise, Si L'Hafith n'était pas homme à se cacher ou à s'embusquer, on utilise ici le terme clandestinité dans son sens de privation. Une privation des droits politiques et de réunion qu'avait engendrée dès lors l'avènement de la dictature. Une chape de plomb s'est refermée sur le pays. À cette époque, le militantisme ne pouvait se concevoir que dans la clandestinité, malheur à celui qui arborait ses accointances avec le FFS, ce parti devenu 1er ennemi public et ses militants considérés dès lors comme des pestiférés infréquentables. Contraint et forcé à l'exil (coup d'Etat de Boumediene, L'emprisonnement d'Ait Ahmed, le revirement de Mohand Oulhadj), Hocine Ait-Ahmed lui envoie un émissaire pour l'obliger de quitter le pays de suite car sa vie était menacée (réf 2). Il ne savait pas à ce moment-là qu'il quittait son pays pour un long exil. Son départ pour la France était si précipité, qu'il avait laissé des compagnons blessés qu'il a lui-même acheminés vers Alger pour les soigner, leur promettant de revenir les voir et qu'il ne reverra pour certains que des années plus tard à l'étranger. Son combat, il continuera à le mener au sein du FFS, ce parti qu'il continuera à structurer et à faire exister avec les forces du désespoir. En France, il refusera de prendre un statut de réfugié politique, et qui lui interdirait toute forme de combat politique en échange d'un subside et de privilèges. Il enrageait déjà de devoir s'installer dans un pays qu'il a combattu, c'était au-dessus de tout ce qu'il aurait pu imaginer. Le parti du FFS s'inscrit donc dans la clandestinité et n'a survécu que grâce aux aides des militants et amis commerçants que Si L'Hafid ne cesse d'essayer de sensibiliser. Depuis son exil en France Si L'Hafidh n'eut de cesse d'organiser le parti sur le terrain. Il n'y a pas eu de personnalité ayant appartenu au camp démocratique et culturel qui n'a pas été reçue, accueillie ou aidée par Si L'Hafidh. Chacune lui en est redevable. Le combat se nouait sur le terrain, le parti était visible. Aucun autre parti d'opposition n'avait égalé le FFS sur le travail militant. Nous nous réunissions par dizaines et dans plusieurs lieux. Le FFS fut une école de formation politique pour de nom-breux cadres. Maintenir vivant le grand parti de l'opposition algérienne pendant près de 30 n'était pas réalisable sans inconvénients et embuches. Rajouté aux intimidations venant de toutes parts, d'Algérie via ses réseaux et de France via les services de renseignements, ce n'était pas une chose facile. Une certitude, grâce à sa droiture et à son franc-parler, Si L'Hafidh était respecté de tous. Son combat n'était que politique et son action se traduisait pacifiquement et démocratiquement dans le combat et la confrontation d'idées et de programmes. Il fut également un fervent défenseur des droits des femmes. Il lui arrivait de débattre des jours et des nuits consécutifs lorsqu'un problème, un débat, ou un sujet l'imposait. Concernant la ligne politique, il n'évitait aucun sujet à condition que cela ne porte préjudice à l'intérêt du peuple, Si L'Hafidh était attentif à bien des vues et concepts modernes. Cependant, il était hostile aux rapprochements politiques contre-nature. En évoquant le parcours d'un juste, je ne souhaite évacuer aucune question. Mais force est de constater que Si L'Hafidh a consacré toute sa vie, son temps, son âme, sa famille pour que l'Algérie soit indépendante, et qui sait, un jour libre également! Aujourd'hui le Hirak, ce mouvement populaire, pacifique et salutaire, se projette dans une perceptive libérée de toute compromission avec un système corrompu et corruptible. Le Peuple veut vivre avec son époque, bénéficier du progrès social épuré des vieux dogmes et discours sans lendemain. Les revendications exprimées et portées par le Hirak font échos à celles défendues par des femmes et des hommes tels que Yaha Abdelhafidh. La jeunesse algérienne, qu'il chérissait par-dessus tout, devrait s'inspirer du combat pacifique de cet homme humble, épris de justice et de liberté. *Vice-président du Comité de mobilisation de la Jmca (Journée mondiale de la culture africaine) Références: Mémoires de Yaha Abdelhafidh Tome I Ma guerre d'Algérie - Au coeur des maquis de Kabylie (1954 - 1962) 1ère édition Riveneuve Année: 2012 Tome II FFS Contre dictature - De la résistance armée à l'opposition politique (1962 - 1990) Editions Koukou Année: 2015