Les blessures demeurent béantes chez les parents des victimes de l'insurrection du FFS, en 1963, où plus de 400 personnes qui s'étaient révoltées contre le régime de l'époque ont été tuées. Des citoyens ont toujours en mémoire les durs moments de cette période fatidique, bannie de l'histoire de l'Algérie, alors que plus de 400 martyrs ont été enregistrés au cours de ces événements. Des militants du FFS ont été tués par «les spoliateurs de l'indépendance du peuple algérien entre 1963 et 1965». Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a souligné que «le dossier des victimes des événements de 1963, soulevé par des membres de l'Assemblée populaire nationale, relève également du dossier de la réconciliation nationale qui reste ouvert». Ces propos ne semblent pas du goût de Abdelhafidh Yaha, dit Si El Hafidh, un animateur des événements et cofondateur du FFS, qui estime que «ce que veut faire le pouvoir est un amalgame. L'insurrection de 1963 n'a rien à voir avec le FIS». «C'est de la compromission. C'est de la manipulation», a-t-il dit, tout en soulignant que «cette histoire d'indemnisation est en rapport direct avec la participation du FFS aux élections. Il y a eu négociation directe avec Aït Ahmed. Le pouvoir sait qu'il ne reste plus de militants à récupérer dans ce parti. Moi, je suis opposant aujourd'hui, demain et je demeure toujours contre la compromission.» Selon Si El Hafidh, «quasiment toutes les victimes de l'insurrection de 1993 ont eu une pension de moudjahidine». Il compte même réagir prochainement publiquement en animant une conférence pour dénoncer «cette compromission». Expliquant la genèse des événements, Abdelhafidh Yaha se souvient : «J'étais chef de la délégation qui a négocié avec Ben Bella, qui voulait installer un nouveau régime en écartant carrément Boumediène. Malheureusement, après le coup d'Etat et après mon exil, Boumediène a torturé et emprisonné nos militants, dont 20 femmes.» La révolte de 1963 n'était que la continuité du combat mené par les moudjahidine qui ont cru en la libération du pays du colonialisme, comme l'ont souvent souligné les anciens militants du FFS. «Je pense qu'il est bien de parler de réconciliation nationale, mais je crois qu'il est aussi important de faire le point par rapport à ce qui s'est passé pendant ces années. Le FFS a été victime d'un hold-up constitutionnel après l'arrestation de Boudiaf par le régime de Ben Bella et Boumediène. Aït Ahmed avait d'ailleurs interpellé, à l'Assemblée nationale, le pouvoir sur cette arrestation. C'est à partir de là qu'il y a eu une opposition constituée, entre autres, du colonel Mohand Oulhadj, de Ali Yahia Abdennour et de Yaha Abdelhafidh», explique Cherif Melbouci, victime de la révolte et ancien militant du FFS. «Le pouvoir doit, d'abord, faire son mea culpa, car des Algériens ont été tués, torturés et emprisonnés pour avoir fait un véritable combat démocratique», a-t-il souligné. Pour Mustapha Bouhadef, ancien cadre du FFS, le problème de fond des victimes de l'insurrection de 1963 n'est pas l'indemnisation ni l'argent. Il s'agit, a-t-il dit, de la reconnaissance de leur statut de martyr de la démocratie. «Ils sont morts en martyrs de la démocratie car ils se sont opposés au parti unique qui avait été imposé par Ben Bella et consorts. La plupart de ces martyrs venaient de descendre du maquis après l'indépendance et y sont remontés pour défendre leur démocratie et dénoncer la Constitution imposée», a-t-il soutenu. Les multiples tentatives d'El Watan de joindre la direction nationale du FFS pour avoir une réaction au sujet de la déclaration du Premier ministre sont restées vaines. Si El Hafidh s'est contenté de nous dire : «Je suis vraiment pris par les élections. On n'a même pas le temps d'analyser ce qu'a annoncé le Premier ministre au sujet des martyrs de 1963.» D'autres témoignages, recueillis auprès de citoyens qui ont vécu cette période, sont accablants. Un sexagénaire d'Aghribs nous a fait part des moments pénibles subis par sa famille durant l'insurrection : «J'ai vécu des moments atroces. Mon frère avait été violemment tabassé par des militaires venus dans la région pour traquer les insurgés. Il ne voulait pas leur dire où étaient les combattants du FFS. Ma mère a également reçu des coups de bâton…» La veuve d'un martyr de l'insurrection de 1963 nous dit qu'en guise de sanction, elle «recevait uniquement la moitié de sa pension de moudjahidine» pour faire vivre ses deux enfants après la mort de son époux. «Mon mari, qui avait participé à la Révolution a, après l'indépendance, pris aussi les armes contre le régime de l'époque. Il a été tué alors qu'il avait à peine 23 ans. Il a laissé deux enfants», nous a confié la veuve de Mohamed Ouakif du village d'Issoukane, dans la commune d'Iflissen, au nord de Tizi Ouzou.