Entre Belaïd Abrika et Ferhat M'henni, il y a plusieurs points communs. L'Expression: La Kabylie fête le double anniversaire du Printemps noir et du Printemps amazigh. Cet événement intervient à la veille de la réunion, le 25 avril prochain, de la Commission de suivi du dialogue gouvernement-mouvement citoyen. Qu'attendez-vous de cette rencontre et quel bilan faites-vous des cinq dernières années? Belaïd Abrika: D'abord, j'aimerais souligner que ces deux dates sont hautement symboliques, pour Tamazight et les libertés démocratiques. C'est un moment où chacun fait un bilan de ses revendications, particulièrement le mouvement citoyen qui ne cesse de se battre pour la démocratie et renforcer les acquis socio-économiques. Les sacrifices consentis n'ont pas été vains. Des acquis considérables sont à enregistrer, notamment sur le plan de la prise en charge de tamazight, même si nous considérons que les avancées demeurent insuffisantes. Tous ces acquis constituent pour nous des repères et un capital sur lequel nous nous appuyons pour obtenir l'application, sur le terrain, de toutes nos revendications. Cela dit, on refuse de tomber dans l'autosatisfaction. Aujourd'hui, après plus d'une année de discussions, il faut passer à l'application de ce qui a été convenu avec le gouvernement. La réunion du 25 avril est destinée à finaliser le dialogue et arrêter les modalités d'application des décisions. Beaucoup d'observateurs estiment que la situation en Kabylie n'a pas évolué dans le bon sens, et que les dissensions au sein des archs et les partis politiques ont fini pas exaspérer les citoyens de la région qui n'adhèrent pour ainsi dire, à aucun mot d'ordre. Quel est votre sentiment sur cette question? Les luttes fratricides font reculer le combat du pôle démocratique. Cependant, je constate que la population demeure attachée à la démocratie, à tamazight et aux droits socio-économiques. Cela étant, la pluralité ne doit pas constituer un handicap, mais doit au contraire favoriser le débat et la réflexion à travers un débat contradictoire pour déterminer les voies et moyens nécessaires pour l'aboutissement des revendications des démocrates. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que la situation n'a pas changé. La révolution d'avril 2001 a fait évoluer les moeurs et traditions politiques, en amenant de profonds changements dans les pensées pour une meilleure prise en charge et une représentation de nos populations. Il s'agit d'une dynamique citoyenne qui connaît aujourd'hui un début d'application de ses revendications. Cependant, le changement est un processus lent. Il évolue au gré de l'évolution des mentalités. Votre mouvement défend le processus du dialogue avec le gouvernement, alors que de plus en plus de voix émettent des réserves sur les avancées que vous revendiquez. Vos contradicteurs mettent en avant des lourdeurs bureaucratiques pour le règlement des questions de la défiscalisation et des indemnités. Que leur répondez-vous? La réponse à cette question est, en fait, simple. Le gros des dossiers de défiscalisation est réglé. Il reste quelques cas et les commissions y travaillent. Pour ce qui concerne les indemnités, il y a effectivement des lourdeurs administratives. Cette situation sera dépassée dès qu'on aura mis les moyens nécessaires à la disposition des commissions. Nous espérons que l'administration et la justice feront convenablement leur travail pour débusquer les faux blessés. Et pour ce qui concerne le jugement des gendarmes impliqués dans la mort des 123 martyrs? Les dossiers des assassinats a été rouvert et nous espérons que les responsables seront traduits le plus tôt possible devant des tribunaux civils. Les familles des martyrs sont en attente de ces procès pour faire le deuil de leurs enfants. Au plan politique, l'on notera quelques différences dans les revendications du printemps 80 et celles de 2001. L'intégration de la donne socio-économique et le caractère national de la plate-forme d'El Kseur illustrent cet état de fait. Les militants de 80 ont-ils mal apprécié la demande de la société selon vous? Les événements du printemps de 1980 et ceux de 2001 sont similaires. Le rapport de synthèse du séminaire de Yakourène fait ressortir des revendications socio-économiques. La différence entre les deux mouvements tient du fait que celui de 80 a eu lieu dans un environnement politique fermé, avec un parti unique au pouvoir et une presse bâillonnée...En 2001, la pluralité politique et de la presse a permis à nos revendications de mieux passer au sein de l'opinion. Au mouvement citoyen, nous considérons que Avril 2001 est une suite logique à Avril 1980. C'est une dynamique historique qui continue d'ailleurs. Et à chaque génération ses exigences. Les militants de 80 ne semblent pas s'identifier totalement dans votre mouvement. Sont-ils dépassés par le temps? Nous n'avons pas de complexe de génération. Chacune a fait son devoir. Qu'il y ait divergence politique ou personnelle, cela relève de la démocratie. Le mouvement citoyen ne s'est jamais senti en concurrence, mais au contraire, en complémentarité. Beaucoup de militants du printemps de 1980 nous soutiennent et adhèrent au combat du mouvement citoyen. Le mouvement amazigh a ses héros et ses martyrs... Je voudrais rendre hommage à tous les militants qui se sont sacrifiés pour la cause, particulièrement Mouloud Mammeri, Lounès Matoub, Bessaoud Mohamed Arab et aux militants de 1980 qui ne sont plus parmi nous. Et une pensée particulière pour Mohamed Benchicou pour lequel le mouvement citoyen n'a pas cessé d'exprimer sa solidarité et son soutien plein et entier. S.BOUCETTA. Ferhat Mehenni n'est plus à présenter, ancien du mouvement d'Avril 1980, chanteur engagé et aussi intellectuel de valeur. Ferhat a, dès son enfance, souscrit au combat pour l'amazighité. De tous les combats, il fut tour à tour au MCB puis se retrouve avec l'ouverture politique aux côtés de Saïd Sadi et en même temps président du MCB coordination nationale. Ayant claqué la porte de cette formation politique, il a créé en avril 1995 le MCB rassemblement national, avant de devenir le porte-parole et leader du MAK. On peut être pour ou contre les idées de l'homme, mais on ne peut cacher son parcours fait d'engagement d'airain pour la Kabylie, une région qu'il porte au coeur. Exilé en France où, contrairement à ce qui se murmure, Ferhat ne roule pas sur l'or, l'homme a vu Meziane, l'aîné de ses enfants, assassiné par une main criminelle à Paris. Ferhat a, certes, été ébranlé par la disparition de celui qu'il considérait aussi bien comme le fils qu'il était, mais surtout aussi comme l'ami fidèle. Les amis politiques de Ferhat savent combien l'homme souffre et quand bien même dans le malheur, Ferhat a su rester digne. Sollicité pour un entretien, Ferhat a bien voulu s'arrêter un moment dans ses multiples occupations pour donner son avis sur les divers événements que la Kabylie a vécus. L'Expression: Avril 1980-avril 2006, quel est le constat que l'on peut tirer? Ferhat Mehenni: Il y a une rupture dans la démarche tout en étant dans la continuité. Il y a le souvenir de 1980 avec la revendication culturelle et identitaire qui est remplacée par le Printemps noir qui ouvre de nouveaux horizons. Ce qui fait que la revendication politique supplante aujourd'hui les revendications culturelles d'hier. Le combat connaît-il ou a-t-il connu un essoufflement? Non, je pense qu'il a plutôt changé de forme et d'objectif. On a réalisé que la revendication purement culturelle est insuffisante, c'est pourquoi nous avons débouché sur la revendication autonomiste régionale. Celle-ci est le combat entamé aujourd'hui sur l'édifice du combat d'hier. Le Printemps noir et Avril 1980 ont en commun la mobilisation de la Kabylie en faveur d'un même objectif, hier tamazight langue nationale et officielle, et en 2001, la plate-forme d'El Kseur. Quid le MCB? Le MCB est mort et bien mort. Il est le patrimoine de nos luttes communes et de notre mémoire collective. Le MCB reste pour l'histoire le mouvement qui a permis à notre région de préserver son identité en luttant contre l'arabisation. Il est le témoin de nos souffrances, de nos croyances et de nos aspirations d'une période donnée : 1980-2001. On doit reconnaître qu'il y a de même une certaine avancée de la question... Incontestablement. Il y a une avancée mais elle est contenue par le fait que le HCA, qui devait être l'instrument d'émancipation, en est devenu un frein. Cependant, nous réalisons que même si tamazight deviendrait aujourd'hui langue nationale et officielle, le problème de la Kabylie ne serait pas pour autant résolu. Quid de sa place dans la nation et de l'existence du peuple Kabyle? Mais tamazight est désormais langue nationale... Tamazight est certes désormais langue nationale, mais pour que tamazight soit une langue reconnue, notons que cela s'était fait par la corruption des députés qui en avaient voté la reconnaissance sans adhérer à l'idée. L'intéressant pour eux était le salaire à vie accordé en échange, et dans tous les cas, sur le plan pratique, aucun changement n'est remarqué par rapport au passé. A.SAID