La célébration du double anniversaire du Printemps berbère et du Printemps noir a été marquée par une série d'activités, de manifestations de rue et des meetings à Tizi Ouzou, à Béjaïa et à Bouira. La ville des Genêts a vibré jeudi aux rythmes des marches, de la grève générale et des rassemblements. En effet, le mot d'ordre de grève générale lancé par la coordination des archs, CADC de Tizi Ouzou, a été largement suivi dans le chef-lieu de wilaya où, contrairement aux autres localités, tous les commerçants ont baissé rideau, et la plupart des établissements publics, notamment scolaires, sont restés fermés. Des délégués de l'aile dialoguiste des archs, des parents de martyrs et des citoyens ont tenu un rassemblement sur la place des Martyrs. Après la minute de silence et le dépôt d'une gerbe de fleurs à la mémoire des 126 victimes des événements de Kabylie et en hommage à tous les militants du combat démocratique et identitaire, les organisateurs se sont succédé à la tribune pour évoquer ces deux dates symboles du combat pour l'identité et les libertés démocratiques en Algérie. En outre, des milliers de marcheurs ont répondu à l'appel du MCB et des étudiants. À la tête de la manifestation des étudiants membres de la CLE, Coordination locale des étudiants. Les carrés de la procession prennent de l'épaisseur au fur et à mesure que la marche avance. D'autres carrés sont constitués par des citoyens venus des quatre coins de la région, déployant des banderoles du MCB sur lesquelles on pouvait lire : “Avril 80, repère des luttes citoyennes”, “Tamazight, langue nationale et officielle” ou encore “Tamazight = Afrique du Nord”. Aussi avons-nous remarqué la présence d'une délégation du RCD conduite par le Dr Saïd Sadi et son staff de l'exécutif. Il y avait également des élus du PT, des anciens militants comme Saïd Khellil, le président du MCB, le Dr Mouloud Lounaouci, des militants marocains de la cause amazigh. “La majorité des marcheurs sont des jeunes, cela veut dire que la graine de l'espérance démocratique semée en 80 a fleuri”,dira le leader du RCD. Vers midi, la procession arrive devant le siège de la wilaya. Une minute de silence a été observée à la mémoire de tous les martyrs, avant qu'un étudiant ne lise un communiqué de la CLE, dans lequel est saluée la mobilisation de la communauté universitaire et des citoyens. La foule se disperse dans le calme, avec un sentiment du devoir accompli. À Béjaïa, le 26e anniversaire du Printemps amazigh a été célébré dans la division, puisque la capitale des Hammadites a connu trois marches. La première démonstration de rue, initiée par le MCB, s'est ébranlée depuis l'entrée principale du campus universitaire pour prendre fin devant le siège de la wilaya. Cette manifestation a vu la participation de nombreux étudiants qui scandaient des slogans hostiles au pouvoir. La seconde marche est celle organisée par l'aile dialoguiste de la CICB. Elle a démarré à partir de l'esplanade de la Maison de la culture pour se diriger vers la promotion immobilière de la Somacob, à Ihaddaden. Arrivés sur les lieux, les animateurs de la CICB ont animé un meeting. Pour sa part, l'aile dite antidialoguiste de la CICB a organisé une autre marche à Béjaïa-ville. Par ailleurs, la marche à laquelle ont appelé les signataires de “la Déclaration de Tifrit” a eu lieu ce jeudi à Akbou dans le calme et la discipline. À son point de départ, au lycée Mohamed-Haroun, ils étaient près de quatre cents personnes, en majorité des étudiants et des militants d'horizons politiques divers, à battre le pavé en arborant des calicots dénonçant “le jacobinisme de l'Etat algérien”. Chemin faisant, la manifestation a fini par drainer près de deux mille personnes à son point de chute, place Colonel-Amirouche, en face de la mairie. Le meeting qui a suivi cette marche a débuté par la traditionnelle minute de silence à la mémoire de tous les martyrs de la démocratie. Premier orateur à prendre la parole, Sofiane Adjlane est revenu brièvement sur “la démarche unitaire” du groupe initiateur de la manifestation avant de donner lecture à ce qui est convenu d'appeler la “Déclaration de Tifrit”. Les autres intervenants, Nacer Haddad, ex-militant du FFS, Mlle Naït-Sid Kamira, du Collectif des femmes du Printemps Noir et du Congrès mondial amazigh ou Ferhat M'henni, porte-parole du MAK, ont tous appelé à en finir avec le jacobinisme pour rebâtir l'Etat sur de nouvelles bases, tout comme ils ont appelé à l'union la plus large autour de cet idéal. “Nous ne sommes contre personne, nous sommes pour l'union de tous les Kabyles”, dira en conclusion Ferhat M'henni. Sur ce, les manifestants se sont dispersés dans le calme. La ville de Bouira a connu pour sa part deux marches populaires. La première a été organisée par la CCCW de Bouira, aile dialoguiste. La seconde a été initiée par le MCB. Ferhat M'henni, du MAK, à Akbou “Il nous faut emprunter un autre chemin.” “Aujourd'hui, Akbou est devenue le cœur battant de la Kabylie ; un cœur qui appelle à l'union et à la fraternité. Aujourd'hui, il nous faut emprunter un autre chemin que celui que nous avons emprunté depuis 1989. Nous avons eu deux partis que je respecte par ailleurs, mais qui nous ont divisés et nous constatons que l'islamisme du maquis et l'arabisme de l'Etat se sont ligués contre nous. La Kabylie est isolée, mais elle l'a été depuis la Révolution de 1954. Aujourd'hui, nous sommes ici pour dire non au jacobinisme à l'algérienne. Notre action, notre démarche ne s'inscrivent contre personne. Nous sommes pour l'union de tous les Kabyles”. Mouloud Lounaouci, président du MCB “Notre mouvement garde toute sa vigueur.” “La grande marche de ce jeudi est la preuve que le MCB garde encore toute sa vigueur. Malgré les manœuvres du pouvoir à vouloir créer des troubles pour casser notre action, avec l'improvisation d'un meeting avec une poignée d'individus sur le trajet de la marche, celle-ci a été une réussite totale”, a déclaré le Dr Lounaouci, hier, lors d'un point de presse à l'hôtel Lalla-Khedidja. Le conférencier notera la symbiose qu'il y a entre une jeune élite estudiantine et le reste de la population, allant jusqu'à comparer cet état d'esprit avec celui d'Avril 1980. “Cette symbiose s'explique par le fait que le témoin est transmis aux jeunes militants qui ont juré fidélité au combat de leurs aînés. Notre mouvement est caractérisé par la mémoire, et cela présage de bons augures. La relève est là ; le flambeau est repris et le greffon de la délinquance politique ne prendra pas. Jamais”, fera-t-il remarquer avant de conclure : “La Kabylie de la loyauté et des convictions a su mettre en échec voyous et corrompus. Toutes les manœuvres du pouvoir, visant à casser notre dynamique politique, se briseront inéluctablement sur le mur de nos convictions chevillées.” Bélaïd Abrika, de la CADC “Beaucoup d'avancées ont été enregistrées.” “La commémoration du double anniversaire du Printemps noir et Tafsut Imazighen constitue pour nous, cette année, un moment où chacun de nous a fait sa démonstration. Beaucoup d'avancées ont été arrachées concernant la langue amazigh en tant que langue nationale, son intégration à l'école et dans la communication ; mais nous demeurons insatisfaits et nous exigeons plus, car la langue amazigh est millénaire et nécessite beaucoup de moyens pour sa réhabilitation, puisqu'il s'agit d'un patrimoine universel. Le mouvement des archs continuera à œuvrer dans ce sens dans un cadre rassembleur, unificateur, sans exclusion aucune; bien au contraire, avec toutes les forces authentiques, sincères et indépendantes, pour l'édification d'un Etat de droit, la construction d'un Etat démocratique et social, comme l'a voulu Abane Ramdane. Je tiens à saluer particulièrement l'esprit d'abnégation de notre population et d'avoir répondu massivement à la grève et au rassemblement. C'est une façon aussi de reconnaître les siens et de rendre un vibrant hommage à tous ces militants et générations pour continuer le combat.” ALI LASKRI À BEJAIA “Il faut élargir le combat d'Avril 80” Le premier secrétaire national du FFS, M. Ali Laskri, a animé, avant-hier, une conférence au Théâtre régional de Béjaïa. Le conférencier a tracé l'historique du combat culturel amazigh et appelé l'assistance à “élargir le combat d'Avril 80”. “Le printemps d'Avril 80 doit être célébré à travers toutes les contrées du pays”, a-t-il soutenu. “Il faut réhabiliter le politique pour restaurer les libertés démocratiques”, a-t-il déclaré. La mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ne doit pas se limiter, selon l'orateur, uniquement aux terroristes, mais aussi “aux martyrs du FFS de 1963” tout en exigeant de situer les responsabilités. “Il faut situer les responsabilités dans cette tragédie”, a indiqué A. Laskri en revendiquant “le devoir de justice et de vérité”. Abordant les relations internationales, M. Ali Laskri a évoqué le traité d'amitié entre l'Algérie et la France. “Le traité d'amitié entre les deux pays doit se faire sur la base d'un rapprochement entre les deux peuples et non entre les deux gouvernements”, soutient M. Ali Laskri. Djamel Ferdjellah, 1er vice-président du RCD “Le 20 Avril continue de rythmer le combat démocratique.” “La mobilisation d'aujourd'hui au-delà de sa dimension symbolique est de nature à mettre en échec la machine machiavélique du pouvoir. Celui-ci, dans sa quête de normalisation de la Kabylie, déploie des moyens faramineux de l'Etat pour brouiller les repères politiques et souiller la mémoire combattante incarnée par le 20 Avril 80. S'inspirant des idéaux de la plate-forme de la Soummam dont il constitue la traduction contemporaine, le 20 Avril continue de rythmer le combat démocratique des nouvelles générations. En ces moments de renoncement et de reniement, cette démonstration populaire porte en elle l'espoir d'une Algérie démocratique et républicaine”. S. L./Y. A. /D. A. /K. O. /A. D.