Le dialogue entamé, il y a deux années, entre le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia et les animateurs des archs, doit se poursuivre. La commémoration, aujourd'hui du double anniversaire du Printemps berbère et du Printemps noir de Kabylie, outre son caractère festif et commémoratif, doit servir de halte, aussi bien aux animateurs du mouvement citoyen, aux partis politiques, qu'au pouvoir, pour faire le bilan. Un bilan, qui n'est, en réalité, que la somme de plusieurs années de confrontations cycliques avec les pouvoirs successifs, de déchirements internes et de manipulations, faisant de la Kabylie, l'éternel «laboratoire» pour toutes les expériences politiques depuis l'indépendance. Porte-flambeau de la lutte pour la sauvegarde de la République, dans les moments les plus dramatiques, la Kabylie ne peut être ni autonome, ni continuer à servir de terrain à des desseins bassement politiciens, la mettant en retrait de tout développement. C'est du moins le voeu de la majorité de la population. Connue depuis la nuit des temps pour être une région frondeuse et rebelle, la Kabylie continue de se débattre dans des problèmes inextricables. Avec une situation socio-économique des plus asphyxiantes, un déni identitaire frustrant et une image faisant d'elle une région où le rejet du pouvoir central est le dénominateur commun de tout mouvement de protestation, elle doit désormais avoir sa part de prospérité. Elle ne doit pas être en reste des vastes programmes de développement initiés à travers le pays. Une façon, à la fois de rendre espoir aux populations et aussi de barrer la route à ceux qui veulent mettre la Kabylie en marge de tout effort de développement. La présence de ses représentants sur le terrain est la meilleure façon de faire sortir la région d'une situation de blocage, sciemment entretenue. A l'exception de l'apport des émigrés et des pensions de retraite, pour les plus chanceux, la plupart des familles doivent se contenter des revenus de l' «émigration interne». Ces dizaines, voire ces centaines de milliers de jeunes qui doivent aller à la recherche d'un poste de travail, parfois jusque dans les régions de l'extrême sud du pays. Par ailleurs, cette tendance à vouloir distinguer à tout prix cette région du reste du pays, obéit à des manoeuvres que même les citoyens ont à maintes fois déjouées et dénoncées. On dénote la réponse des archs au Parlement européen, en pleins évènements d'avril 2001, rejetant le qualificatif de « peuple kabyle », utilisé pour dénoncer la répression contre les manifestants. En somme, le sens patriotique, qui a de tout temps animé les populations, n'est plus à démontrer, même si certaines mouvances n'hésitent pas à mener des campagnes de dénigrement à l'encontre d'une région, connue pour être le bastion de l'Islam authentique. Celui, qui accorde à la religion un statut respectable, loin de toute manipulation politicienne. Désormais, l'enjeu est sur le plan économique et social. Ce «coeur palpitant» de l'Algérie, regorge de potentialités, aussi bien humaines qu'économiques. Combien d'enveloppes financières, évaluées en dizaines de milliards de dinars, ont été débloquées au cours de ces dernières années, en faveur des trois wilayas de Kabylie, sans que les résultats ne soient perceptibles sur le terrain. A part les quelques actions de solidarité, consistant à distribuer des bus pour les écoliers ou des machines à coudre pour les femmes au foyer, l'Etat s'est littéralement désengagé de la région. Une attitude à la limite du mépris, qui fait de la Kabylie l'éternelle bombe à retardement, livrée aux «artificiers» de tous bords. La crise du logement, le chômage qui a atteint le taux record de 35 à 40%, le manque d'infrastructures économiques, notamment les petites et moyennes entreprises, appropriées pour la région, font de cette dernière un no man's land pour les investisseurs. Pourtant, la région recèle des atouts majeurs indéniables pour son développement, notamment le tourisme, l'artisanat et la petite et moyenne entreprise. Combien de jeunes quittent l'université avec un diplôme qui, en fin de compte, ne sert qu'à occuper les tiroirs des administrations, qui à chaque fois brandissent l'argument de l'absence de postes budgétaires. Ce sont ces jeunes, désoeuvrés et sans la moindre perspective, qui, soit cherchent le moment propice pour émigrer, ou versent carrément dans la délinquance. Certains vont même jusqu'à mettre fin à leur vie - le suicide ayant atteint des taux record - croyant avoir trouvé la solution pour échapper à la misère. Sur le plan social, la région, faute de sécurité, est devenue un «nid» où prolifèrent des fléaux qui, il y a quelques années, étaient étrangers à la région. La criminalité, le trafic de drogue et la délinquance, se disputent la vedette, jusque dans les villages les plus reculés. Dans les chefs-lieux de wilayas, c'est la prostitution qui vient compliquer la donne. Pour mettre un terme à cette situation, qui n'a que trop duré, le temps est venu pour que les pouvoirs publics prennent sérieusement en charge les préoccupations et remettre de l'ordre dans la maison Kabylie, exposée à tous vents et marées. Le dialogue entamé, il y a deux années entre le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia et les animateurs des archs doit se poursuivre, et toute tentative de l'entraver ne ferait qu'exposer encore une fois la région à d'autres périls, dont les conséquences ne seront que préjudiciables pour l'unité nationale. D'autant plus que l'accueil réservé l'année dernière par la population de Beni Douala, «épicentre» des événements d'Avril 2001 au chef de l'Exécutif, est un élément à mettre à profit pour ouvrir une nouvelle étape dans les relations entre la Kabylie et le pouvoir central. Le temps presse.