La pandémie deCovid-19 a révélé la vulnérabilité des différents systèmes économiques dans le monde. L'Algérie ne déroge pas à ce constat. Les effets négatifs de la pandémie sur le monde du travail sont d'une importance telle, que des études objectives et sérieuses doivent être menées à différents niveaux. La responsabilité de l'Etat, qui doit disposer des leviers réels de la gestion macro et microéconomique, est pleinement engagée au coeur de cette crise. Et pour cause, les différents centres de décisions semblent naviguer à vue d'oeil dans ce cadre. Car ne disposant pas de données fiables, à même de permettre une certaine efficience en matière de prise de décisions et une meilleure maîtrise de la situation. Les différents acteurs sectoriels en interaction dans le domaine du travail, disposant d'outils performants et adaptés, doivent s'engager dans des approches prospectives et des études de stratégie globale. Dans ce cadre, il y a lieu de signaler que l'enquête, qui a été commandée par le Conseil national économique, social et environnemental Cnese, a vu l'intervention de plusieurs secteurs ministériels, dont celui de la Solidarité nationale et ceux du ministère du Travail. L'enquête a touché un certain nombre de ménages, à travers le territoire national, englobant une large panoplie de questionnaires. C'est le président de ce conseil, qui en a fait l'annonce. Bien que les résultats de ces enquêtes ne soient pas connus ni rendus publics, il ressort que l'impact de la crise sanitaire a été ample. L'inspection du travail a, également de son côté, mené une enquête intéressante, qui a englobé quelque 4 064 entreprises employant plus de 500000 travailleurs. Pour ce qui est du marché de l'emploi, des statistiques fournies par le site de l'agence nationale de l'emploi Anem, démontrent une tendance baissière du marché de l'emploi en Algérie. Une brève étude menée par l'expert consultant en droit du travail et ressources humaines, Hebib Si Ali, confirme cette tendance à la baisse, qui frappe de plein fouet le marché du travail. Les chiffres de l'Anem qui constituent les principaux indicateurs, dans ce domaine restent incomplets. Cependant, il nous livre un premier constat sur l'impact alarmant de la crise sanitaire sur le monde du travail. Une manière de tirer la sonnette d'alarme quant à une probable dégradation de la situation sociale. L'Expression: La crise de la Covid-19 a produit des effets négatifs sur l'économie nationale et, par ricochet sur le monde du travail. Quels sont les chiffres dont vous disposez pour vous engager dans une approche analytique de la situation? Et est-ce que ces chiffres sont exhaustifs et surtout fiables? Hebib Si Ali: La source officielle dans ce domaine, c'est l'ONS mais elle ne communique pas ses données. Je crois que pour cette année, ils n'ont rien effectué. Donc, on ne connaît pas réellement les répercussions de la pandémie sur l'économie nationale et, par conséquent sur le monde du travail. En parallèle, nous travaillons sur les chiffres de l'Agence nationale de l'emploi Anem. Ces chiffres communiqués, à travers des statistiques publiées par cet organisme du ministère du Travail, sont réels. Mais, ils ne reflètent pas cependant la réalité. Ceci dit, ils disposent d'une base de données efficace, dans ce domaine. Il faut préciser que l'Anem reste la première source statistique de l'ONS, dans le monde du travail et de l'emploi. Notre approche s'est focalisée sur les répercussions globales du Covid, notamment sur l'emploi, les relations de travail (contrats et suppressions de postes) et surtout les problèmes de rémunération, qui en ont résulté. Et nous avons réservé le dernier chapitre aux retombées de cette crise sur le climat social au sein des entreprises, notamment avec une montée progressive des mouvements de grève, les arrêts de travail et les actions de protestation. C'est assez inquiétant. Justement, quelle est votre lecture première de ces chiffres? À partir des chiffres communiqués par l'Anem, nous avons procédé à des recoupements et des petites analyses comparatives entre les chiffres de 2019 et, ceux de 2020 pour déceler les grandes tendances, qui ont marqué cette période. Autant sur le plan des placements, perte d'emploi et licenciements, etc... la tendance baissière domine ces chiffres et dénote une situation sociale inquiétante. En matière d'offres d'emploi, on enregistre 306235 postes en 2020, contre 436838 en 2019. Ce qui nous donne un taux de régression de 30%. Pour ce qui est des placements, on notera quelque 230621 en 2020 contre 335311 en 2019. Soit un taux de régression de 30%. Concernant les demandes d'emploi disponibles, elles ont été de l'ordre de 2217289 en 2020 contre 1544349 en 2019. Soit une hausse de 44%. En conclusion, nous sommes en face d'une perte de 131000 offres d'emploi, auxquelles il faut ajouter les 673000 nouvelles demandes d'emploi. Il y a également cette note de conjoncture du Care (cercle de réflexion et d'action pour l'entreprise), qui présente une estimation de la perte d'emploi au seuil de 500000. Pour sa part, l'inspection du travail a mené une enquête sur l'impact de la Covid-19 sur le marché du travail, qui a touché 4064 entreprises employant plus de 500000 travailleurs, laquelle a fait ressortir 200000 travailleurs sans ressources, 50000 emplois perdus et retards de paiement de salaires pour 180000 autres. De quoi s'inquiéter sérieusement, en fait. Est-ce que vous disposez d'autres chiffres? Selon un rapport de l'Organisation internationale du travail OIT, qui se base dans ses études sur les données mensuelles et trimestrielles communiquées par le biais de«l'Observatoire de l'OIT, la Covid-19 et le monde du travail»,il a été enregistré des pertes massives d'heures de travail au deuxième trimestre 2020, équivalant à 495 millions d'emplois à temps plein et 130 millions autres à temps plein, pour le quatrième trimestre 2020. C'est énorme. Selon les estimations du BIT, la reprise du marché du travail au deuxième semestre 2020 sera aléatoire et partielle Pensez-vous que le gouvernement a été à la hauteur dans la gestion des effets de cette crise? Et est-ce que l'Etat dispose réellement des moyens de sa politique? On ne peut pas dire qu'il y a un suivi concret des effets de la crise. C'est un grand déficit en matière de management de crise. Idem pour les organisations syndicales et professionnelles patronales, qui ne disposent pas de données à ce sujet. Contrairement aux aspects de prise en charge sanitaires, médicales et épidémiologiques, l'Etat n'a pas bien géré la crise dans le domaine économique et dans le monde du travail. C'est une pure gestion administrative et théorique, il y a eu des réunions et il y a eu, également, une rencontre au mois d'août avec le Cnese, sanctionnée par un mémorandum. Mais ce sont des approches théoriques, sans plus. Le plus important n'a pas été abordé et l'activité de l'ONS a même presque été gelée. Qu'est-ce que vous préconisez en la matière? Nous avons proposé la mise en place d'une commission de veille économique, pour le suivi des effets de la pandémie sur l'économie nationale, en général et sur le monde du travail. L'appel que nous avons lancé en mars 2020, est resté lettre morte. L'économie mondiale a été impactée, pas uniquement l'Algérie. L'Etat a, pourtant, pris un certain nombre de mesures d'incitation et d'indemnisation des travailleurs et des secteurs les plus touchés. À votre avis, ces mesures ont-elles été suffisantes et efficientes pour endiguer les effets de cette crise sanitaire? Les mesures prises par les pouvoirs publics sont importantes, mais insuffisantes. Des mesures d'apaisement, notamment le différé des cotisations fiscales et parafiscales par le biais de la Banque centrale. Le secteur public n'a pas été très impacté comme le privé, du fait d'une certaine discipline prééminente dans le management. Ce qui n'est pas le cas du secteur privé... Des compressions d'effectifs ont eu lieu et se poursuivent, actuellement. On parle de 600000, voire même de 700000 postes d'emploi qui ont sauté. La situation est-elle aussi grave? Bien que les entreprises aient, quelque peu, résisté à cette pandémie, pendant plus d'une année, aujourd'hui, les plans sociaux des entreprises privées sont engagés. Il y a un rôle social de l'Etat, qui doit être assumé. Les mesures prises en matière de sauvegarde de l'emploi sont insuffisantes. Certes, le gouvernement actuel n'est pas gâté par les événements issus de cette crise multidimensionnelle. Néanmoins, il y a un travail et des efforts qui doivent être fournis dans un cadre de concertation et de collaboration. Car la crise, elle, concerne l'ensemble des acteurs. Or, le gouvernement ne communique pas dans ce cadre.