Dans le cadre des Journées d'expression francophone, et au lendemain de la journée de la francophonie dans le monde correspondant au 20 mars, la romancière Faïza Guène, auteure du best-seller «La Discrétion», a animé, dimanche dernier, par voie de visioconférence, une rencontre littéraire autour de son sixième roman. Un débat modéré par la journaliste Fella Bouredji. Sorti chez Plomb Edition en 2000, ce livre raconte l'histoire de «Yamina (est) née dans un cri. À Msirda, en Algérie colonisée. À peine adolescente, elle a brandi le drapeau de la Liberté. Quarante ans plus tard, à Aubervilliers, elle vit dans la discrétion..» Un roman qui raconte l'histoire de la famille Taleb immigrée depuis l'Algérie dans les années 1980. Un livre dans lequel l'écrivaine aborde son rapport à la filiation, mais aussi à la France et l'Algérie. À propos de son premier roman, «Kiffe kiffe demain», sorti en 2004, et qui s'est vendu à plus de 400000 exemplaires, et sera publié dans 26 langues, Faiza Guene dira qu'elle n'était pas préparée ou outillée pour ce succès. «J'ai vécu les choses au jour le jour en profitant de ce qui se passait. Je ne savais pas que ça allait durer et que j'allais en faire mon métier, une carrière.» Et de renchérir: « Je n'ai plus arrêté d'écrire certes, mais je dois avouer que cela n'a pas été du tout simple. C'est un métier compliqué car en France s'est réservé à une élite dont je ne faisais pas partie et ne possédant pas les codes de cette élite, parfois c'était décourageant, mais je suis tout aussi fière de m'être accrochée et d'avoir continué jusqu'à aujourd'hui». L'héritage et la transmission Abordant cette notion de «différence» qui la sépare des autres écrivains en France, en étant fille d'une famille émigrée, l'auteure d' «Un homme ça ne pleure pas», dira: «quand j'ai commencé à écrire je n'avais pas réellement pris conscience de ce qui m'animais dans le fait d'écrire. J'ai compris au fur et à mesure des livres ce qui m'animait vraiment, autrement le sujet de l'héritage et de la transmission. Ma sensibilité d'écrivaine est liée à mon histoire, celle de mes parents, de l'exil. Tout ce que j'écris est traversé par ces questions-là. C'est traversé, aussi par la question sociale, c'est-à-dire le fait d'être issue d'un milieu modeste, de grandir dans un quartier pauvre, d'avoir des parents issus d'une classe populaire etc. Ce sont toutes ces thématiques qui me touchent déjà en tant qu'être humain, en tant que femme et forcément ça se ressent dans mon écriture.». Faiza Guene confie une anecdote en affirmant que la première fois qu'elle ait reçu son premier livre imprimé, la chose qui l'a le plus touchée, était de lire le nom de son père inscrit sur un livre. Et de confier son contentement d'avoir laissé des traces concernant ce père décédé il y a quelques années. Une façon dira t-elle de parler de «personnages qui n'auront jamais existé ni dans des films, ni dans les livres, et dont le récit est très peu ou pas du tout valorisé» Et de renchérir: « Mon père qui est venu en France en 1952 pour travailler dans les mines, dans la région de la Loire, a son nom dans un livre aujourd'hui. Si on ne valorise pas ces récits, ils vont disparaître. Ce livre «La discrétion», c'est vraiment l'aboutissement de la réflexion et de la question de la transmission, sur la résistance de tout ces gens-là.» Reconstruction À la question si l'écriture suffit-elle seule à la «reconstruction?», Faiza Guène dira que, bien sûr, cela ne suffit pas arguant que «l'écriture historique est aussi nécessaire car la fiction ne suffit pas même s'il existe des éléments autobiographiques dans ce roman composé par moi-même avec des personnages qui n'existent pas. Mon livre aura au moins aidé à revaloriser leurs récits» et de souligner: «Le fait de les inscrire dans la littérature française symboliquement c'est quelque chose d'important. Transmettre aussi ces récits à des gens de ma génération, c'est aussi très important. Le fait de se voir dans ce roman, ça participe à faire ressentir l'importance de ces récits, et participe également à la question de la réparation. Evidemment ça ne suffit pas car le travail d'histoire et d'éducation est primordial. C'est une question politique qui doit se jouer avec les historiens etc. La littérature ne suffit pas malheureusement, ce serait trop facile.» Une Algérienne élevée en France À la question de savoir son rapport à l'Algérie, Faiza Guène révélera qu'il est assez «direct» compte du fait qu'elle soit venue en Algérie, à maintes reprises depuis son jeune âge et ait séjourné souvent de nombreux mois. Aussi, toute sa famille se trouve en Algérie. Son premier langage parlé a été l'arabe. «J'ai été élevé par des parents qui n'avaient pas de famille hormis la famille qu'on a en Algérie, donc on a été très connectés à l'Algérie. Ici on a été dans un cocon et dans une bulle, seuls. Ce lien n'a jamais été rompu avec l'Algérie, même durant la décennie noire, on est venu quand même voir mes tantes, oncles, grands- parents etc. Pour moi ce n'est pas quelque chose que j'affilie à mes parents, c'est mon pays. Je suis binationale. Pendant longtemps je disais que je suis franco-algérienne et depuis quelques années, j'ai trouvé une manière plus adaptée qui correspond à «comment je me sens par rapport à mon identité». Je me définis comme une Algérienne, née et élevée en France. Toutefois je ne saurai vous répondre sur les questions sociales d'un pays dans lequel je ne vis pas. Je peux avoir une idée. Ce sera juste un regard. Je peux vous parler de mon expérience de fille d'émigrés, qui revient en Algérie et de ce sentiment d'attachement et de détachement, mais vous parler de la vie d'une femme de mon âge qui vivrait aujourd'hui en Algérie ce serait impossible.» Abordant la question de la genèse de son roman, «La discrétion», Faiza Guène dira que «ces questions de l'héritage et de transmission ont pris forme à partir de mon quatrième roman, «Un homme ça pleure pas». Apres, le décès de mon père, cette question est devenue vitale. J'avais envie de faire ce travail avec ma mère. Cela a commencé par une quête intime. Par des questions simples posées à ma maman et, notamment une, relative à son premier souvenir d'enfance. Elle me raconta plutôt un traumatisme lié à la guerre d'Algérie. Suite à cela j'ai voulu creuser et connaître mieux son existence en Algérie dans la région de Msirda jusqu'à son arrivée en France et après, sa vie de femme de 70 ans aujourd'hui.». L'urgence de témoigner À propos de la non-acceptation des enfants de cette fameuse discrétion des parents, Faïza Guène imputera ce rejet de ce «mode de vie» des parents aux faits que pour les enfants «à qui on a dit à maintes reprises qu'ils sont des Français, cette discrétion qui se matérialise chez les parents presque comme un mode de survie n'est pas possible car il y a la question de la légitimité qui s'en mêle. Les enfants sont nés en France. On leur dit qu'ils sont français. Cette colère vient non seulement d'avoir vu ses parents dans des situations humiliantes, souffrir et se sacrifier et finalement elle vient aussi du fait que le comportement vis-à-vis de nous est quasi identique et complexe et c'est ce qui est difficile à vivre chez cette génération-là.»Et de poursuivre prolixe: «J'avais besoin d'inscrire ce roman dans la réalité de notre époque comme une photographie. Le but est d'effacer cet écart générationnel entre les parents et les enfants, ce gouffre inédit qui ne pourrait exister par exemple entre moi et ma fille. Un écart dont on doit témoigner, capturé de façon presque crue. Une urgence car c'est une génération qui est en train de s'effacer. On n y peut rien. Mais, ce qu'on peut faire, par contre, est de récolter leurs témoignage et récit pour qu'ils ne s'éparpillent pas et disparaissent. Cette urgence-là, je la ressens car j'ai perdu mon père. Il y a plein de choses que je ne saurai, hélas, jamais, malgré toutes les questions etc.». Changer la perception sur ces femmes «Cette urgence était dans l'idée que j'ai encore ma maman et qu'il fallait rapporter cette histoire et encourager les gens de ma génération à poser des questions aussi à leurs parents. A s'intéresser à leur histoire de manière particulière, car ce qui est le plus important est la reconnaissance. Ce qui nous aidera à être en paix et en harmonie est le fait que la génération de nos parents soit reconnue, que leur sacrifice soit reconnu et qu'on se dise enfin: ils n'ont pas fait tout ça pour rien! Pour que nous, nous ayons une existence meilleure que la leur.». Et d'insister en affirmant avec passion: «Aussi pour ma génération et je parle pour moi aussi, il est insupportable d'être confronté au racisme et à la discrimination. Parfois on n'arrive même pas à comprendre ce qui nous met en colère à ce point. Comprendre son histoire ça noua aide à nous construire et à construire les générations futures. Que ces dernières reconsidèrent l'histoire de leurs parents. Car nous-mêmes enfants de ces mères-la, si on les voit encore comme des personnes faibles ça ne fonctionne pas. J'aimerai enfin que les gens qui vont lire ce livre et qui ne connaissent pas nos mères, qui ne savent pas le courage dont elles ont fait preuve, qui ne connaissent pas leur caractère, tempérament et leur force, eh bien qu'ils puissent, à la fin du roman, ne plus regarder et à jamais, ces femmes de la même manière.. Je suis fière de pouvoir dire que j'ai envie de faire changer la perception sur ces femmes et ces familles.»