L'autrice d'origine algérienne revient avec ce roman qui dépeint la réalité psychologique et sociologique qui s'est imposée aux émigrés du XXe siècle et à leurs descendants d'aujourd'hui. Avec son sixième roman paru cette année aux éditions Plon, Faïza Guène figure parmi les écrivains d'origine algérienne qui auront marqué la rentrée littéraire 2020 en France. Et comme c'est souvent le cas chez nos auteurs, La Discrétion ne s'écarte pas de l'éternel aller-retour entre la France et l'Algérie, réalité psychologique et sociologique qui s'est imposée aux émigrés du XXe siècle et à leurs descendants d'aujourd'hui. Yamina, la mère, est née en 1949 à Msirda, au nord-ouest de Tlemcen. 70 ans plus tard, après une existence riche en péripéties, on la retrouve avec son mari et ses enfants à Aubervilliers, un quartier à forte concentration de Maghrébins situé dans la banlieue de Paris. "Une Yamina silencieuse, qui ignore sciemment (ou pas) les provocations, les marques de mépris, la condescendance, laissant glisser sur elle les agressions sournoises du quotidien, comme si refuser de se laisser envahir par le ressentiment était une façon de résister." Si les parents, Yamina et Brahim, ont fait de leur mieux pour leur transmettre quelques fragments de leur vie, c'est à leurs enfants de les rassembler à présent, suggère l'auteure. Dans ce roman, Faïza Guène se propose de raconter l'histoire de "ces gens invisibles" dont elle veut montrer le parcours et leur impact sur les nouvelles générations. "Ce roman est dédié à ma mère, qui est la mère de beaucoup de monde. C'est à toutes ces mères que j'ai dédié mon livre car ma mère n'est pas la seule à mériter cet hommage", a-t-elle écrit. L'idée du livre, souligne Faïza Guène, est que ces mères ne sont pas nées "discrètes" et "silencieuses". "Elles ont un parcours et une histoire qui les ont tenues au silence", dit-elle, avant d'ajouter : "J'avais envie, derrière cette discrétion, de montrer ce qui hurle à l'intérieur de ces femmes, ce qui leur est arrivé pour être aussi discrètes." Y a-t-il plus violent que de se taire face aux humiliations et à l'intolérance ? À moins que ce soit, comme l'affirme l'auteure, parce que "ces femmes, après tout, ont décidé de se mettre au-dessus du mépris, que c'est un choix, et cela les renforce". On comprend aussi que c'est "pour protéger leurs enfants de l'humiliation et de la violence qui leur est faite". Les nouvelles générations perçoivent-elles ces "violences" comme leurs parents ? "Ils ont été éduqués dans cette discrétion ; on leur a demandé eux aussi de rester discrets car ‘on est invités ici'", précise Faïza Guène, ajoutant : "Chacun des enfants de Yamina va être son reflet. Les mères on fait des enfants accablés par le poids du silence, la surcharge de la discrétion les met en colère." Même quand ils semblent s'intégrer dans leur milieu scolaire ou professionnel, les parents ont toujours peur de ne pas maîtriser leurs enfants. Ils ont tellement souffert de les faire grandir malgré le dénuement qu'ils souhaitent pour eux le meilleur, et surtout qu'ils n'auront pas à connaître le mépris et les humiliations. Certains pourraient penser que les choses ont évolué et que les nouvelles générations ne connaissent pas ces contraintes. "Être le fruit d'une immigration postcoloniale, avec tout ce que cela implique, a aujourd'hui un impact sur le présent des enfants, et il faut en parler", conclut Faïza Guène, qui est une romancière d'origine algérienne née en 1985 à Bobigny. Avant La Discrétion, elle a écrit cinq romans dont le plus célèbre, Kiffe Kiffe Demain (Hachette 2004), fut un best-seller mondial traduit dans vingt-six langues.
ALI BEDRICI La Discrétion, roman de Faïza Guène, éditions Plon, 256 pages, août 2020.