Triste anniversaire pour ceux qui ont été licenciés par charrettes entières et surtout pour ceux qui n'ont pas de travail. A l'instar de beaucoup de pays, l'Algérie a fêté -par l'intermédiaire de ses dirigeants- dans l'indifférence totale de ses citoyens, le 1er mai. Triste anniversaire pour ceux qui ont été licenciés par charrettes entières et surtout pour ceux qui n'ont pas de travail. Il est curieux que cette catégorie d'Algériens n'ait pas un syndicat pour défendre, non pas l'emploi, mais l'obligation pour l'Etat de mettre les instruments à même de pouvoir permettre la création de richesses. Nous avons une UGTA et un Parti des Travailleurs qui ne s'occupent, on l'aura compris, que de ceux qui ont un emploi aussi précaire soit-il, pas des autres. Indépendamment du chômage qui explose à plus de 15%, la vulnérabilité du travailleur est de deux sortes. Quand on est dans le privé, la crainte est de plus en plus importante quant à la rupture du contrat de travail par des compressions de personnel massives. La deuxième crainte est relative à l'échelle de la fonction publique et, par voie de conséquence, au salaire qui ne répond, en Algérie, à aucune logique si ce n'est celle de servir avant tout les classes dangereuses, celles qui sont capables de nuisances multiples. Dans sa stricte définition, un salaire désigne une rémunération pour un travail. Le mot provient du mot latin sal qui veut dire sel, car à l'origine il était payé en sel. (1). Le salaire peut être aussi défini par une somme d'argent échangée contre un travail fourni selon les termes d'un contrat de travail. La personne qui fournit le travail est le travailleur, le salarié. Celle qui fournit l'argent est le salariant, l'employeur. Le principe du salaire est d'être versé régulièrement tout au long de la durée du contrat. Le salariat n'est qu'une forme parmi d'autres de travail rémunéré. Pour les professions libérales on parle d'honoraires, pour les autres travailleurs indépendants, de bénéfices, pour les fonctionnaires de l'Etat, de traitement et pour les élus, d'indemnité. On comprend que le rendement est un critère d'appréciation du salaire octroyé par l'Etat qui assure au fonctionnaire une sécurité dans son parcours social. Avec la mondialisation, certaines voix se font de plus en plus pressantes -notamment chez nous- pour réclamer de moins en moins à l'Etat au nom de la nouvelle religion qu'est la mondialisation et la dictature du marché. Faut-il alors détruire l'Etat social? Avec l'Etat social, le XXe siècle nous a finalement légué une révolution. Une révolution inachevée mais non moins réelle. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à l'importance de ce qu'on peut nommer les quatre piliers de l'Etat social: la protection sociale, les services publics, le droit au travail et les politiques économiques de soutien à l'activité et à l'emploi. Les quatre piliers ont été fortement déstabilisés suite au tournant libéral opéré à partir du début des années 1980. L'Etat social n'en demeure pas moins d'actualité pour trois raisons. En premier lieu, parce qu'en dépit des assauts répétés du libéralisme, il existe toujours bel et bien. Preuve qu'il joue un rôle à bien des égards irremplaçable, ses quatre piliers ont ainsi été plus écornés que mis à bas au cours des vingt dernières années. Des exemples? L'application des préceptes libéraux n'est pas parvenue à mettre à bas l'Etat social, même si des évolutions contrastées ont, en fait, été enregistrées (les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, par exemple, ont largement préservé leur capacité d'intervention en matière de politique économique, les pays scandinaves leur «pilier» protection sociale, etc.). Le «changement de ton» opéré par des institutions telles que le FMI, la Banque mondiale ou l'OCDE le prouve à sa façon. À l'évidence, la page du libéralisme conquérant des années 1980-1990 se tourne. Il n'empêche: de nombreux travaux laissent aussi clairement entendre que l'Etat social aurait été en quelque sorte adapté au «capitalisme fordiste», celui des trente glorieuses, et serait avec lui dépassé. Les libéraux ne cessent d'en appeler au retrait de l'Etat. Pour eux, l'Etat social lui-même est finalement une figure du passé. Pour Christian Rameaux, professeur d'économie à l'université Paris 1: «Ceux qui vendent la ´´peau de l'ours´´ de l'Etat social, ou qui invitent à ´´l'adapte´´ aux supposées contraintes irréversibles de la financiarisation ou de la mondialisation, se doivent de démontrer que ce qui était avéré hier, l'incapacité du capitalisme libéral à résoudre la question sociale, ne l'est plus aujourd'hui. L'Etat social a, sans aucun doute, des limites. La bureaucratisation, il serait vain et surtout contre-productif de le nier, est son talon d'Achille. Cependant, il faudrait pointer ces limites pour mieux les dépasser. Autre chose, c'est d'en prendre prétexte pour revenir sur cette révolution du XXe siècle, alors même qu'on sait sans doute, en creusant son sillon, que l'on peut reconstruire une perspective d'émancipation.» (2). Dans de nombreux pays, à l'heure où les gouvernements réexaminent les structures et les méthodes des services publics, et redéfinissent les rôles et les responsabilités, la fonction publique connaît des transformations rapides et profondes. Elle est même au coeur des priorités de certains gouvernements: ainsi la Grande-Bretagne a inscrit la modernisation de sa fonction publique en tête de ses priorités en vue de la modernisation de l'Etat. Trois approches, d'ailleurs souvent utilisées en complémentarité, peuvent être envisagées: - l'Etat peut se libérer de certaines obligations par le biais de décentralisation en faveur des administrations locales, de privatisations ou de transfert de responsabilité à de nouveaux organismes publics (comme les agences) ; - accroître sa productivité, faire mieux avec autant de moyens, voire moins, en adoptant des mécanismes de gestion semblables à ceux du privé ; - mettre en place de nouvelles méthodes de gestion. Dans les deux derniers cas, des indicateurs d'activité et d'efficacité ( par le biais de business plan par exemple) viennent en complément pour mesurer les résultats et la performance. Une «culture du résultat» s'implante ainsi progressivement dans la fonction publique au profit d'une meilleure qualité du service rendu. Sur la période 1979-1995, à chaque fois que la population active a augmenté de 100 personnes, les pays du G7 ont créé 68 emplois privés, 11 publics, 18 chômeurs et trois inactifs. La France - qui nous a légué positivement la fonction publique- compte environ 1 fonctionnaire pour 10 habitants, environ 25% de la population active, contre une moyenne de 13,2% dans les pays du G7. Alors que l'Allemagne a gelé ses effectifs depuis dix ans, que la Grande-Bretagne, sous la houlette de Margaret Thatcher, a réduit ses troupes de près de 40%, la France, où les fonctionnaires ne représentaient que 17,4% de la population active en 1974, n'a cessé depuis, de créer des postes dans la fonction publique. Depuis 1993, les Etats-Unis s'attachent à améliorer la gestion de la performance dans les administrations. En témoigne le National Partnership for reinventing Government, organisme créé par le président Clinton en mars 1993 et présidé par Al Gore, avec pour objectif de «réinventer un gouvernement qui travaille mieux tout en coûtant moins». Aux Etats-Unis, c'est au Merit Systems Protection Board (MSPB) et à l'Office of Personnel Management (OPM) qu'il incombe d'évaluer l'efficacité du régime du mérite. Selon la plus récente étude menée sur l'évaluation du mérite, des problèmes tels que le favoritisme, la discrimination et l'incapacité constante de régler le sort des employés qui affichent un piètre rendement, existent au niveau fédéral. (3). Critères d'évaluation Qu'en est-il chez nous? On ne sait pas quels sont les critères d'évaluation. Il y a quelques mois, quand les travailleurs réclamaient une augmentation des salaires pour rattraper une petite partie de la détérioration du pouvoir d'achat, il fut répondu que la demande est illégitime. Manne pétrolière aidant, voilà qu'on utilise la symbolique pour annoncer par le biais de l'UGTA sur le ton de celui qui est dans le secret des Dieux : «Oui, il y aura augmentation des salaires de la fonction publique.» Naturellement, on ne connaîtra pas encore le montant, il faut laisser à une autre occasion, la rentrée sociale, pour annoncer, un secret de polichinelle, une augmentation linéaire pour tout le monde sans discernement sur l'apport réel de chaque catégorie de travailleur public ou privé, et même les élus dont il faudra bien un jour que l'on nous explique comment une indemnité est 3 à 4 fois supérieur, au salaire d'un professeur d'université. Par ailleurs, la situation qu'on nous présente comme «normale» est plus inquiétante que jamais. Pour Louisa Hanoune, du Parti des Travailleurs, en 2004, 540.000 emplois ont été créés et disparus presque aussitôt puisqu'ils étaient d'une période limitée de 3 ou 6 mois. Un nombre de 650.000 emplois sont actuellement menacés rien que dans l'industrie de la conserverie. «Le tremblement de terre social» qui est provoqué par les réformes économiques en cours doit s'arrêter, a-t-elle martelé sous les applaudissements, en exigeant l'élévation du SMIG à 25.000 dinars, ce qui ne ferait, a-t-elle ajouté, qu'à faire coïncider les salaires avec le niveau du seuil de pauvreté tel qu'il est défini par le PNUD. Ces 15 dernières années, si les salaires ont augmenté de 20 à 25%, le prix de certains produits a connu une augmentation de 500% ou 1000%. Pour l'exemple, en Europe, le contrôle du pouvoir d'achat pour l'ajustement des salaires obéit à des règles plus rigoureuses autres que celles de la charité et de l'opacité. Les enquêtes sur les salaires des fonctionnaires (Insee, Apec-Hewitt Associates) sont autrement plus rigoureuses. Les données collectées, au plan européen, font apparaître une hausse moyenne de 6% en Allemagne et en France de 3% sur le salaire des cadres entre 2003 et 2004. Cette hausse est calculée sur la base «net-net», c'est-à-dire le salaire brut, ajusté au niveau de vie du pays, auquel sont retirés les prélèvements sociaux et fiscaux.(4). Dans le pays, nous sommes dans l'opacité la plus totale. On fait une publicité mensongère présentant le montant de l'aumône comme un effort exceptionnel du gouvernement qui décide, quand il veut et sans expliquer, les moyens de calcul et notamment la détérioration constante du pouvoir d'achat. Il serait intéressant de calculer le montant de cette augmentation, nous verrons qu'il est très inférieur au montant des intérêts de la cagnotte de plus de 80 milliards de dollars. En clair, c'est le service de la manne qui contribue à calmer le front social et non la richesse créée. D'ailleurs, la Banque mondiale ne s'est pas trompée. Ainsi, sur le chapitre investissement, le ministre Abdelhamid Temmar a révélé que le gouvernement a officiellement contesté - nous sommes bien avancés - le classement de l'Algérie à la 123e place, de la Banque mondiale dans son rapport «Doing business 2006». Que veut-on en définitive pour le pays? Il faudrait peut-être interroger la société sur la place de l'université dans le développement du pays. Devra-t-on continuer à être à la traîne? Sait-on par exemple que dans le classement des 7000 universités du monde, nous sommes parmi les derniers. Sur les 9 universités algériennes classées, la première l'est à la 6956e place! Même dans le classement des 100 universités africaines, la première université est à la 75e place. L'une des causes est le dénuement total de l'université en pleine errance. Comment peut-on demander à un professeur d'université de former un cadre de qualité sans moyens et en l'obligeant, à son corps défendant, de faire la chasse aux heures supplémentaires - invention diabolique imposée par le FMI, pour ne pas recruter- pour arrondir ses fins de mois?.. Plus que jamais nous appelons à un réétalonnage de la fonction publique et de l'échelle sociale en fonction de l'apport réel et non supposé des différentes catégories de travailleurs du secteur public ou privé. Le salaire devrait être consenti non pas en fonction de sa capacité de nuisance ou d'une légitimité révolutionnaire héritée. Plus que jamais c'est la productivité qui doit régir le fonctionnement de l'Etat. Il ne sera pas possible de continuer à procéder à des augmentations de salaire d'une façon linéaire, le mérite doit nous guider. Celui qui produit le plus devrait être le mieux payé. Dans l'enseignement supérieur et l'éducation, indépendamment des diplômes, la sécurité de l'emploi ne devrait être systématiquement garantie qu'après un certain niveau de production scientifique. Le salut du pays est à ce prix, il est nécessaire de faire rattraper graduellement le retard en termes de classement aux enseignants. Il est obligatoire que les meilleurs forment l'élite de demain. Un salaire décent est l'un des mécanismes de stimulation de l'intelligence. Nos voisins à l'Est et à l'Ouest, l'ont bien compris. Les salaires des enseignants sont 3 à 4 fois plus importants que ceux de leurs homologues algériens. La formation de cadres de qualité est une question de survie pour le pays. Misons sur la sagesse de ceux qui ont le lourd privilège de mener cette Algérie qui nous tient tant à coeur à bon port. In Chaa Allah.