«Il faut un travail de lobbying. C'est ce type d'intervention qui amènera la France à assumer son passé et reconnaître ses crimes». L'Expression: A votre avis, le 8 mai 1945 est-il, aujourd'hui, un simple événement ou le symbole d'une véritable revendication pour un travail de mémoire? Mme Feriel Fates-Lalami: Il faudrait bien coller au 8 mai sa vraie étiquette et son vrai sens. En d'autres termes, le 8 mai n'est pas uniquement un massacre, mais surtout et avant tout une manifestation indépendantiste. Il est aussi le tournant décisif dans l'histoire de la lutte d'un peuple, car en ce 8 mai 1945, l'on a tout d'abord brandi, pour la première fois, le drapeau algérien, les manifestants réclamaient, alors, la libération de Messali Hadj et surtout l'indépendance de l'Algérie. Cet événement constituait, donc, l'aboutissement de tout un travail de maturité nationaliste. Les massacres existaient bien avant le 8 mai et ont commencé avec les premières années de la conquête. Ce qui veut dire tout simplement que le 8 mai est loin d'être uniquement un massacre ou un crime de guerre, mais surtout un chemin vers l'indépendance de l'Algérie. Pensez-vous que le travail de mémoire est freiné par des obstacles quelconques? Le débat sur le travail de mémoire n'est pas le seul en Algérie et en France. L'Hexagone se pose comme un pays de mission civilisatrice. Mais ce qui a été fait durant la période coloniale est contraire à tous les principes et slogans psalmodiés par la France. En Algérie, on a tendance à idéaliser tout ce qui remonte à la période de la lutte armée. Or, beaucoup d'autres choses doivent être dites. A titre indicatif, l'exclusion de la femme par le FLN pendant la guerre de libération ne doit pas constituer une vérité et/ou un sacrifice ignoré. Le travail de mémoire doit justement commencer par là. Il faut s'autocritiquer et assumer l'histoire telle qu'elle est, avec ses défauts. Par ailleurs, ce travail de mémoire doit être fait en toute objectivité et responsabilité, car le travail de mémoire n'est pas synonyme de discours de célébrations. Pensez-vous que le 8 mai va encore peser lourdement sur les rapports entre Alger et Paris? Les jeux d'humeur sont très conjoncturels entre Alger et Paris. C'est vrai que la loi du 23 février 2005 est quelque chose d'intolérable, mais la réaction était également vive et profonde, chose qui a poussé Chirac à intervenir. Mais, seul un vrai travail de mémoire pourrait pousser la France à reconnaître ses crimes de guerre commis en Algérie. Il faut un travail de lobbying, car les enjeux sont importants et seul ce type d'intervention pourrait contraindre la France à assumer son passé et reconnaître ses crimes. Mais, il faut aussi, coté algérien, reconnaître nos défauts et nos erreurs. Pouvez-vous être plus explicite? L'indépendance a trompé la femme algérienne qui a dû accepter un certain statut pour l'intérêt de la nation. L'indépendance et l'épanouissement de la femme, choses qui ont été prévues dans toutes les chartes de la Révolution algérienne, n'existent nulle part aujourd'hui. Bien avant l'indépendance, la femme algérienne qui a décidé de rejoindre les rangs des moudjahidine a été exclue de tous les postes de responsabilité. Et, après tout, ce n'est qu'un exemple qui explique le choix de mon thème d'intervention (femmes, le sacrifice ignoré) lors du colloque international de l'association «verdict». La France est-elle en mesure, aujourd'hui, de reconnaître ses crimes de guerre? Je ne pense pas que la France en tant qu'Etat est en mesure, aujourd'hui, de reconnaître ses crimes de guerre commis en Algérie. Car, dans le gouvernement français d'aujourd'hui figurent des gens qui réclamaient l'Algérie française, à l'instar de Debré et le lobby des pieds-noirs qui est très actif. Mais, au sein de la société française existent des catégories précises qui s'expriment librement et témoignent sur la torture pendant la guerre de libération. La France ne va pas reconnaître ses crimes en réponse à des discours politiques. Un vrai travail de mémoire s'impose en Algérie, car jusqu'à l'heure actuelle rien n'est encore fait.