La volonté de faire machine arrière et de lever le voile sur le passé deviennent plus qu'une nécessité. L'Histoire et son écriture; la mémoire et sa sauvegarde, c'étaient là les deux grands thèmes mis sous les feux de la rampe au cours du colloque international organisé hier à la Bibliothèque nationale d'Algérie. Organisé par l'Association nationale contre la torture et les disparus durant la guerre de Libération nationale de 1954 à 1962, le colloque a mis sur la table, encore une fois, la problématique de l'écriture de notre Histoire, celle de l'Algérie post-indépendance. D'autant plus que ces derniers temps, cette Histoire qu'on semble occulter ou refouler, refait surface, presque malgré soi. Cette situation s'explique, selon l'historien et universitaire français et non moins chercheur à l'Inalco, Benjamin Stora, par trois facteurs. Il y a d'abord le facteur relatif au retour de la grande question relative à la France impériale et coloniale. Ensuite le désir de connaître l'Histoire de son pays d'origine, ouvertement exprimé par la nouvelle génération issue de l'immigration. A en croire cet historien, ce sentiment est né suite aux agressions morales dont sont victimes les enfants des émigrés. Et les textes de loi minutieusement élaborés par le gouvernement français à l'insu des résidents algériens en France viennent comme ouvrir une blessure qui n'est même pas prête à se refermer. En ce sens, Benjamin Stora est revenu sur la loi du 23 février glorifiant les bienfaits de la colonisation. «Ce texte de loi a provoqué le courroux de plusieurs historiens et d'intellectuels français qui n'ont d'ailleurs pas hésité de le dénoncer et de réclamer son abrogation», a indiqué M.Stora. Et avec la loi Sarkozy qui vient de tomber à pic, le désir de connaître l'Histoire n'a fait que se renforcer. Néanmoins, ce désir vient aussi du côté algérien. En effet, avec les témoignages des personnalités historiques sur la barbarie de la France coloniale, la volonté de faire machine arrière et de lever le voile sur le passé deviennent plus qu'une nécessité. Benjamin Stora considère ce volet, et à juste raison, comme le troisième facteur ayant fait émerger le passé sinistre de la France coloniale. «Actuellement, la France se décerne à elle-même le satisfecit de son passé et de l'écriture unilatérale de l'Histoire», a fait remarquer le conférencier. Celui-ci a cité des exemples, tels les mémoires du général Aussaresses, qui a reconnu avoir exercé la torture sur les Algériens durant la guerre de Libération nationale. De son côté, l'historien et universitaire algérien, Fouad Soufi, a déploré le fait que l'Histoire ait cédé la place à la mémoire. Pour lui, il faut faire le distinguo entre les deux concepts, l'Histoire et la mémoire. «La mémoire est simpliste et sélective, tandis que l'Histoire voit le passé dans sa globalité, avec toutes ses blessures qu'elle s'efforce d'analyser et de comprendre». Pour ce chercheur, ce travail incombe avant tout aux historiens, eux seuls, du fait qu'ils détiennent les clefs de la méthodologie, d'écrire l'histoire. Même si le conférencier n'a pas renié l'apport des mémoires écrits par les anciens combattants, il n'en demeure pas moins qu'il insiste que ce travail demeure objectif. Cela du fait qu'ils voient les évènements tels qu'ils les ont vécus. Par ailleurs, la problématique inhérente à l'accès aux archives, soit ici en Algérie ou en France, a constitué le point focal des débats ayant caractérisé ce premier colloque consacré à l'écriture de l'Histoire. Néanmoins, ceci est un autre volet qui, si on réussira à y accéder, aidera les deux côtés, algérien et français, à terminer le travail de deuil.