Quand le silence parle de la magnificence des hommes au passé... Dans la demi-obscurité de la salle du palais de la Culture où l'on projetait, l'autre jour, sur un écran les diapositives des mosaïques qui avaient fait, entre le iiie et le vie siècle après J.C., la splendeur de l'antique Caesarea, la voix éraillée de la présentatrice Mme Sabah Ferdi, auteur de Mosaïques romano-africaines (*) me faisait l'effet de venir d'un monde présent, vivant, mais replacé dans son cadre historique et géographique d'autrefois. Plus que fascination spirituelle ou rêve éveillé, c'était une étrange plénitude ressentie, grâce à cette voix pleinement humaine, vibrante, nerveuse, commentant des images inanimées de la vie heureuse d'une cité qui naquit chez nous, qui se développa chez nous et qui nous révèle aujourd'hui, dans le territoire de Cherchell d'aujourd'hui, le secret de son éternité: le «bien-être», le «bien exister», le «souverain bien». C'était autant de mosaïques tapissant «les sols des riches habitations de Césarée : décors tirés, à la fois, de l'observation, de la littérature mais aussi des réminiscences de la mythologie. Les grands propriétaires, les riches commerçants de blé, d'huile et de vin, les puissants armateurs utilisaient cet art de la mosaïque qui leur renvoyait, d'eux-mêmes et du monde, les images les plus flatteuses et les plus rassurantes.» Sabah Ferdi est algérienne. Il faut le préciser à ceux qui doutent de la compétence de nos chercheurs et, d'une façon générale, de nos intellectuels et pour qui, obstinément, rien ne serait bon et juste à prendre ou à apprendre qu'il ne nous vienne d'ailleurs. Cette maladie grave et contagieuse, qui a fait des ravages dans d'autres domaines de notre culture, se soigne encore si l'on a un reste de lucidité et de tempérance pour ouvrir aussi l'excellent album d'images Mosaïques romano-africaines, culture et nature à Cherchell qui s'adresse avant tout «à la sensibilité visuelle». Là, pour la technique et l'artistique, l'image des Editions du Tell est sauve. On y trouve d'abord un texte vivant interprétant magnifiquement le silence des représentations mortes, puis des explications riches et claires pour donner la juste parole à des pièces et tableaux de mosaïques plus ou moins entiers et, ce qui est le plus attendu, des reproductions attrayantes en couleur. Voici donc, page à page, par exemple, les mosaïques des Trois Grâces, du Cheval Mucossus, des Noces de Thétis et de Pélée, du Combat des centaures et des fauves, de la Légende d'Achille, d'Ulysse et les Sirènes, des Fleurs, des Travaux champêtres, des Paons affrontés, de la Faune marine, etc. Le tout est ponctué judicieusement de citations d'auteurs anciens : Apulée de Madaure, Saint-Augustin, Dracontius, Minucius Felix et Némésien. L'auteur a conçu son ouvrage pour séduire et simplement instruire, c'est-à-dire pour donner du plaisir à découvrir un aspect exceptionnel de notre patrimoine culturel et surtout pour le comprendre et s'imprégner de la philosophie véhiculée par cet art original de la mosaïque pratiquée dans un des hauts lieux de l'histoire de l'Algérie originelle. Sous la conduite parfaite, car passionnée et qualifiée, de Sabah Ferdi -qui est professeur, archéologue, chercheur aux activités multiples, conservatrice en chef des sites et Musée de Tipaza et de Cherchell et mondialement connue et reconnue par ses pairs- nous entrons dans un domaine que nous ignorons, à notre corps défendant, et qui, pourtant, nous appartient. Sans fioritures, Sabah Ferdi nous met devant notre Bien et, avec le charme exquis du pédagogue et la rude méthode du scientifique, elle nous invite à apprécier son album. Sachant à quel public elle s'adresse, et le définissant, elle avertit: «Il s'agit plutôt, comme l'indique son titre, d'une présentation de mosaïques à la fois expressives d'une nature et suggestives d'une culture.» Devant tant de beauté et de vérité de la nature et des travaux des hommes, les Algériens, jaloux qu'ils sont de leur culture plurielle y trouveront source de réflexion, d'inspiration et de création. Toutefois, il faut le savoir, ainsi que le souligne Sabah Ferdi dans sa conclusion, «La population qui, à Césarée, commandait les mosaïques que nous venons de présenter, ne constituait pas toute la population de la côte, tant s'en faut!»