L'Expression: Comment est né votre intérêt pour la poésie kabyle ancienne? Mohand Ouramdane Larab: Comme je suis né et j'ai grandi dans un milieu où l'oralité est prépondérante dans les villages de haute Kabylie des années soixante-dix, après le diner, la vieille du foyer kabyle, trouve toujours un moyen de faire endormir les enfants en racontant des contes populaires. Ou encore des histoires jusqu'au moment où les enfants tombent dans les bras de Morphée pour laisser place aux adultes de la maison pour s'occuper du métier à tisser et autres corvées quotidiennes du foyer kabyle d'autre fois. C'est à partir de cette source intarissable que j'ai été abreuvé de la littérature orale kabyle, contes populaires, poèmes, anecdotes, racontées par ma grand-mère Fatima et sa maman Ouzna, et la tante à ma mère Ouardia At Mohand Ouali, une grande femme à la sagesse remarquable et au verbe facile qui a subjugué les dirigeants de la révolution algérienne en Wilaya 3 historique, plus précisément au village Taourirt Amokrane aux At Yiratene, par ces poèmes en hommage aux martyrs et aux combattants de l'ALN. Sans oublier le lien familial qui me lie au poète Si Mohand Ou Mhand, qui nous a laissé cette graine poétique au sein de la famille qui a suivi cette voie par: Ouardia At Mohand Ouali, Fadma n Cherif At Mohand Ouali et moi-même. Quels sont les poètes sur lesquels vous avez écrit des livres? Les poètes à qui j'ai consacré des ouvrages sont: Si Mohand Ou Mhend, Lhocine n Adeni et Cheikh Mohand Ou Lhocine, publiés en 1997 aux éditions «Imperial» à Rabat (Maroc). Puis El Hadj Arezki Haouche de Djemaâ n Saharidj, aux éditions «Le Savoir» en 2008, à Tizi Ouzou, avec bien sûr des rééditions en Algérie pour les travaux publiés au Maroc, pour ce qui est des ouvrages cités en premier. Pourquoi, d'après vous, c'est Si Mohand Ou Mhand auquel les écrivains, dont vous faites partie, ont consacré le plus de livres? Le poète national Si Mohand Ou Mhand est la personnalité la plus répandue des poètes kabyles. Il est aussi le poète qui a capté plus d'attention chez les auteurs et les chercheurs dans le domaine de la littérature orale kabyle. Si Saïd Boulifa, lui a consacré une partie dans son «Recueil de poésie kabyle» (éditions Jourdan 1904) à Alger, puis c'est Mouloud Feraoun dans «Les Poèmes de Si Mohand» éditions le Seuil (Paris 1960), suivi de Mouloud Mammeri «Les Isefra de Si Mohand» (éditions Maspero 1969-Paris), et moi-même avec « Isefra n Si Mohand Ou Mhand» (éditions Imperial Rabat Maroc 1997), et enfin Younès Adli avec «Si Mohand Ou Mhand, errance et révolte» (Alger 2000). Est-ce qu'on peut dire que Si Mohand Ou Mhand est le plus grand poète kabyle? Effectivement, à son époque, il est le meilleur et le plus médiatisé par rapport à d'autres poètes. C'est dû à son itinérance ou à son verbe captivant pour son jeune auditoire, pas comme les autres poètes à l'exemple de: Bachir Amellah, Lhadj Arezki Haouche, Lhadj Mohand Ouachour Iaâzouzen, Lhocine n Adeni, Si Youcef Oulefki,... Mais dans la poésie kabyle, il y a d'autres géants comme Youcef Oukaci, Mohand Said Amelikeche, prince des poètes comme on dit, Hmed Arab n Hamad, Lhadj Rabah n Taourirt Moussa, Lhadj Lmokttar At Said, Mohand Ou Moussa Awagenoun... Vous avez aussi travaillé sur Cheikh Mohand Ou Lhocine, pouvez-vous nous en parler? Le livre sur Cheikh Mohand ou Lhocine est une continuité au travail de Mouloud Mammeri, puisque mon travail s'inscrit dans la même optique que celle de cet Amousnaw, qui a réhabilité notre culture orale, qui était autrefois en voie de disparition. La première édition de cet ouvrage «Tadyant n Ccix Muhend Ulhusin» a été publiée à Rabat au Maroc en 1997 chez les éditions «Imperial», dont je remercie Monsieur Lahcen Zerouali, l'éditeur qui m'a autorisé à rééditer ce livre en Algérie en 2008, chez les éditions «Mehdi» sous le titre «Awal ghef Ccix Muhend Ulhusin», un ouvrage collectif avec Hamid Mezaoui. Actuellement, l'ouvrage est épuisé sur le marché, il sera réédité prochainement par les éditions «Identité» de Ahmed Nekkar afin de le mettre à la disposition des lecteurs en version bilingue tamazight- français. Vous vous êtes aussi penché sur d'autres poètes, pouvez-vous nous en parler également? Dans la démarche que j'ai entamée il y a plus d'une vingtaine d'années, j'ai voulu contribuer à la réhabilitation des poètes et amusnaw kabyles anciens par la collecte de leurs oeuvres et par la conversion de ces dernières de l'oralité a l'écrit afin d'éviter leur déperdition et de les sauver de l'oubli comme ceux de Si Mohand Ou Mhend, Lhocine n Adeni, Cheikh Mohand Ou Lhocine, Lhadj Arezki Haouche auxquels j'ai consacré des ouvrages. Est-ce qu'il y a des thèmes récurrents qui reviennent tout le temps chez tous ces poètes? Selon les périodes et les évènements vécus par les poètes, on retrouve plusieurs thèmes abordés dans leurs textes à l'exemple de: Kaci At Ouhayia et Mammar n Saidi qui ont chanté la gloire des At Yiraten durant la bataille de 1857, deux poètes cités par Hanoteau dans son recueil «La poésie Kabyle du Djurdjura» (éditions Jourdan 1867), Hocine n Adeni et Mohand Said Oubelhir ont clamé dans leurs textes l'amour de la bien-aimée et la séparation. Par contre, El Hadj Mohand Ouachour d'Iaazouzen, a composé des textes religieux «oraisons funèbres» en hommage aux Cheikh Mohand Ou Lhocine en 1901 et à Cheikh Mohand Ou Mokhtar en 1909. Quand vous effectuez le travail de collecte, comment procédez-vous pour reconnaitre que tel poème est de Si Mohand par exemple et non pas de Cheikh Mohand, de Youcef Oukaci et non de Lhocine Adeni, etc...? La sélection ou le tri des textes de poésie est fait selon la source qui a collecté le texte et la région de la collecte, après cette étape, ça sera selon le thème, et la structure du poème. Pour ce qui est des textes de Cheikh Mohand Ou Lhocine, ils sont uniquement dans le domaine religieux; on ne connait pas de poème sentimental du Cheikh. Pour ce qui est de Youcef Oukaci, ses textes sont reconnaissables facilement car il n'y en a pas beaucoup vu la période lointaine de son existence. Ses textes sont composés en majorité en sixaine. Enfin, pour ce qui est de Lhocine n Adeni, la grande majorité de son oeuvre est composée en hommage à son amoureuse Tabya, qui le consume comme le sable du désert et c'est cette dernière qui est sa source d'inspiration intarissable surtout pour la période où il a vécu dans une oasis du Sud. Avant son retour définitif aux At Yiraten, sans oublier la période qu'il a passée au village où il a déclamé plusieurs poèmes sur sa situation précaire et désastreuse après son retour du pays des Mzab. Pourquoi, d'après vous, la poésie orale a occupé une si importante place dans la société kabyle? Durant les siècles derniers, le seul loisir et occupation des gens à cette époque a été les anecdotes, les contes populaires, les devinettes, et les joutes poétiques dans certaines occasions et circonstances, c'est par le verbe qu'on fait tout y compris dans la relation de la vie courante, tout est oral, rien n'est scripturale, c'est pour ça que les nouvelles générations sont héritières d'un lourd fardeau qu'elles doivent transmettre aux générations futures, l'humanité doit beaucoup à l'oralité. Il y a beaucoup de chanteurs kabyles qui ont repris des vers et des passages des poèmes de Si Mohand et d'autres, pouvez-vous nous en parler? Certains poèmes de Si Mohand Ou Mhend sont adaptés dans des chansons chez beaucoup de chanteurs kabyles de l'ancienne génération des années soixante, à titre d'exemple: Slimane Azem, Salah Sadaoui, Samy El Djazairi, Idir, Ait Mislayen... Quels sont vos projets dans le domaine du livre? Des projets existent toujours pour rendre hommage aux anciens poètes et ciseleurs des mots comme une réédition du recueil de poésie de Lhadj Arezki Haouche, Ahmed Lemsiyeh, Si Youcef Oulefki, et un recueil de poésie pour rendre hommage aux poètes n'At Yiraten qui sont au nombre de vingt et parmi eux, il y a des contemporains de Si Mohand Ou Mhand.