Les Algériens n'en peuvent plus. Sortis d'une situation de tension, ils tombent dans une autre. Après une éprouvante course pour se procurer de l'eau et une autre pour doter leurs proches malades de Covid-19 de générateur d'oxygène, voilà que l'administration du Commerce les attend au tournant en organisant bien malgré elle une pénurie de farine. Même si au département de Kamel Rezig on réfute de qualifier ce qui arrive de pénurie, le fait est que l'écrasante majorité des boulangers, quand ce ne sont pas tous, ne fournit plus du pain à ses clients. Les citoyens constatent depuis plusieurs jours la raréfaction du fameux produit subventionné. Il est remplacé, dans de très nombreuses occasions par du pain à base de semoule. Le produit n'est pas mauvais à la consommation, sauf qu'il coûte le double du prix du pain ordinaire. Retenons au passage que le prix est passé de 15 dinars à 20 dinars la baguette conséquemment à la quasi-disparition du pain ordinaire. Cette concomitance entre la hausse d'un produit et la disparition des étals d'un autre n'a même pas besoin d'interroger les esprits des Algériens. L'équation est très simple en fait. Il y a beaucoup moins de farine et pas assez de semoule pour équilibrer le marché. Résultat: la loi de l'offre et de la demande s'applique avec son implacable logique. Cela donne des scènes malheureuses devant les boulangers du pays où l'on constate d'immenses chaînes de bon matin, avec ce que cela suppose comme risque sanitaire en ces temps de pandémie. Les agglutinations devant les commerces sont, en réalité, compréhensibles pour la simple raison que les boulangers baissent le rideau en fin de matinée. Le constat est généralisé et les explications du ministère du Commerce ne pourront jamais contenter des citoyens excédés d'entendre qu'il n'existe pas de pénurie de farine au moment où ils sont condamnés à se réveiller très tôt pour acheter leur pain ordinaire pour n'avoir pas à payer «l'amélioré» au double du prix. Il faut se rendre à l'évidence de l'incompétence d'un département ministériel qui s'est déjà distingué par une gestion chaotique du marché de l'huile de table, il y a quelques mois, avant de laisser filer les prix des fruits et légumes de saison. La liberté des prix ne devrait, en principe, pas expliquer un relâchement scandaleux face à des situations de déséquilibre du marché qui coûte énormément au portefeuille du père de famille. À plus forte raison, lorsque la crise concerne un aliment stratégique, qui plus est, subventionné. Le ministère du Commerce accuse les boulangers de ne pas respecter leur part du marché en détournant la farine. Ces derniers crient faillite et continuent de fabriquer des gâteaux à base, disent les contrôleurs, de farine subventionnée. Le premier croit avoir accompli sa mission en dénonçant les seconds et ces derniers donnent l'impression de se sacrifier en sortant une seule petite fournée de pain de leur four. Entre l'un et les autres, le citoyen dont cette subvention est censée lui être destinée et qui est réglée sur fonds publics paye son pain à un prix qui va bien au-delà de la quote-part subventionnée. Dans cette affaire qui vient ajouter une couche à sa frustration, l'Algérien campe le triste rôle du dindon de la farce. Cette description de la situation n'est pas caricaturale. C'est la stricte vérité. Le blé tendre à la base duquel est fabriquée la farine subventionnée existe en quantité suffisante dans les silos de l'Oaic. Cela revient à dire que les centaines de millions de dollars ont déjà été dépensés pour nourrir les Algériens. Le ministre du Commerce est censé y veiller. Mais lorsqu'on descend un étage plus bas, ce que Kamel Rezig n'a manifestement pas fait, on se retrouve en face de boulangerie qui propose du pain de semoule à 20 DA pièce. Notre ministre qui a raté les virages de l'huile de table et de la pomme de terre négocie visiblement très mal celui du pain subventionné. Les consommateurs ont le légitime droit de réclamer leur part de la subvention. Où va-t-elle? Force est de répondre que le ministre lui-même ne le sait pas. Sinon, il aurait agi et réglé le problème depuis belle lurette. Il est impératif que le ministre du Commerce sache faire le bon diagnostic et agir principalement dans l'intérêt du consommateur et des deniers de l'Etat destinés à sauvegarder le pouvoir d'achat de la société. C'est son devoir et sa principale mission.