A chaque pas de porte, on salue chaleureusement Prince Wiro qui s'enfonce dans les allées sinueuses de Afikpo, un quartier pauvre de la ville pétrolière de Port-Harcourt, dans le sud-est du Nigeria. Depuis que Prince Wiro a commencé, il y a deux ans, à organiser des patrouilles bénévoles pour lutter contre l'insécurité dans cette zone où la police est absente, la criminalité a chuté. En particulier, les abus envers les femmes et les filles. La police est souvent sous-financée et le personnel manque dans le pays le plus peuplé d'Afrique, qui fait face à des défis sécuritaires majeurs, dont une insurrection jihadiste dans le nord-est et des groupes criminels qui sévissent dans le reste du pays. Pour les communautés pauvres, comme à Afikpo, l'impunité est légion. Mais Prince Wiro fait tout pour que les responsables des violences, notamment celles commises envers les femmes, soient poursuivis par les autorités. Avant que son groupe ne commence à patrouiller, le quartier d'Afikpo, en périphérie de Port Harcourt, était tellement miné par les violences que les femmes ne sortaient plus le soir. «En 2019, le front de mer était ravagé par l'insécurité», se souvient Prince Wiro qui montre du doigt les cabanes de fortune à sa gauche et à sa droite, se frayant difficilement un chemin entre les égouts à ciel ouvert et les seaux de lessive savonneux posés devant chaque maison. «Mais depuis, les choses sont rentrés dans l'ordre», affirme-t-il fièrement. Le jour, Prince Wiro travaille comme journaliste, mais durant son temps libre il porte assistance à plusieurs communautés avec l'association qu'il a fondée, le Centre for Basic Rights Protection and Accountability Campaign (Cebariac). Depuis septembre 2020, l'activiste âgé de 39 ans a aidé la police de Port Harcourt à résoudre au moins 18 affaires, la plupart concernant des violences sexuelles commises contre des femmes et des filles. «Avant, nous n'avions que très peu d'organisations qui prêtaient attention aux droits des femmes, ils doivent pourtant être protégés», lance-t-il. Les quartiers pauvres comme celui de Afikpo, un dédale de maisons en parpaings et en toits de tôle ondulée, sont souvent abandonnées par les autorités locales. Ces quartiers, qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour répondre à leurs besoins basiques, ne sont pas rares au Nigeria, où plus de 40% de la population vivent sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale, malgré les immenses revenus issus de l'exploitation du pétrole, notamment à Port Harcourt. Blessing Amachree, une habitante de Afikpo, explique qu'il y a peu de temps encore, le manque de sécurité était tel dans le quartier, que les femmes s'étaient elles-mêmes imposé un couvre-feu à partir de 18h00. Certaines se sont même résolues à quitter la communauté. «Même mon fils, mon seul enfant, s'est enfui de cet endroit», soupire-t-elle. «Il a dit qu'il ne pouvait plus rester à cause des incidents, des batailles et des fusillades.» Alors que le quartier s'enfonçait dans la violence, un des chefs de la communauté, Dennison Amachree, s'est tourné vers Prince Wiro. Ensemble, les deux hommes ont travaillé d'arrache-pied pour mettre en place un groupe d'auto-défense avec des habitants bénévoles. Installée à Diobu, dans la partie haute de Afikpo qui surplombe les quartiers dangereux du bord de mer, cette milice est financée par les habitants eux-même. «La patrouille tente de réduire la criminalité, et travaille en synergie avec la police nigériane et d'autres agences», détaille le journaliste. Les éléments de ce groupe d'auto-défense, qui porte des polos noirs sur lesquelles ont été cousus la devise «opération sans peur», sont dirigés par le «commandant» Prince Tijani, le propriétaire d'un bar local. «Au moment où je vous parle, ici, il n'y a aucun policier», explique-t-il. «Et lorsque la police veut se rendre dans certaines zones, elle nous appelle et nous allons avec eux. Nous connaissons bien mieux les lieux qu'eux.» En service, le groupe d'auto-défense répond aux appels des habitants qui leur signale des incidents. Et comme la police, ils se rendent sur les lieux, mènent l'enquête, font de la médiation, et dans certains cas, arrêtent physiquement des suspects. C'est alors qu'ils appellent les forces de sécurité pour qu'elles interviennent, détaille le chef de la milice qui assure que ses membres ne portent pas d'arme à feu, mais seulement des machettes, pour se protéger.