Les rumeurs ne manquaient pas sur l'intention, de plus en plus avouée, de l'Australie de couper court à l'accord conclu, de façon formelle, avec Paris pour l'achat de sous-marins Attak, nouvelle génération, construits par Naval Group, le cham-pion tricolore de la construction navale militaire. En 2016, les pourparlers du Future Submarine program (FSP) étaient scellés sur la base de 31 milliards d'euros, montés progressivement, pour cause d'ajustements de change et surcoûts graduels, à50 milliards d'euros. Mais, ces derniers mois, et plus encore, ces deux dernières semaines, les Australiens n'avaient pas arrêté de dire qu'en fin de compte leur intérêt était ailleurs. Comme argument imparable, ils avançaient le fait que les sous-marins américains sont dotés d'une machinerie nucléaire qui l'emporte de loin sur les engins à propulsion diesel électrique français qui nécessitent, tous les dix ans, une révision sur site plutôt coûteuse. Bref, le vent n'était pas à l'optimisme mais Paris n'a rien vu venir, persuadé que ce qui avait été conclu ne peut être dédit. A l'époque, la France l'avait emporté sur l'allemand TLMS et le contrat australien représentait un véritable exploit pour le président François Hollande et son ministre de la Défense, un certain Jean-Yves Le Drian. Le cocorico venait conclure une longue et âpre bataille de lobbying et confirmait la tendance française à la gloriole prématurée. Cinq ans plus tard, dans la nuit du mercredi à jeudi dernier, c'est autour du président américain Joe Biden de pavoiser en dévoilant officiellement le changement de cap australien pour acquérir des sous-marins SNA, de la classe Virginia dont une vingtaine de modèles sont en service. Goguenard, il était flanqué durant sa déclaration par le Premier ministre australien Scott Morrison et son homologue britannique Boris Johnson. Et pour cause, l'accord entre les Etats-Unis et l'Australie concerne le Royaume-Uni également, parce qu'il construit ses propres SNA, de la classe Astute. D'où l'appellation du contrat AUKUS (Australia, United Kingdom, United States), présenté comme un accord stratégique de première importance, «une décision fondamentale, fondamentale. Cela va lier l'Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour des générations», a surenchéri l'administration américaine. Dans un communiqué commun, Biden, Johnson et Morrison n'y vont pas par trente six chemins: «Sur la base de notre histoire commune de démocraties maritimes, nous nous engageons dans une ambition commune pour soutenir l'Australie dans l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire.» On comprendra vite que, derrière cette référence «historique», se profile l'ombre chinoise considérée par les trois pays comme la menace prioritaire «d'aujourd'hui et de demain». Les dirigeants français n'ont plus que les yeux pour pleurer et leur dépit reste sans conséquence. Leurs propos sur la «brutalité» du deal anglo-saxon et sur «le coup de poignard dans le dos» ne font que mettre en lumière la réflexion du père de la Vème République, Charles de Gaulle: «Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts.»