Emmanuel Macron présidera, aujourd'hui, une cérémonie dédiée aux massacres du 17 octobre 1961. Le chef de l'Etat français a choisi le pont de Bezons, à Colombes, non loin du bidonville de Nanterre d'où étaient partis nombre de manifestants, pour y déposer une gerbe de fleurs. Le geste présidentiel, qui se fera en mémoire des victimes, verra la participation de descendants des victimes. Une volonté de voir la vérité en face, de toucher peut- être l'horreur de la répression meurtrière et la porter à l'opinion publique française. Une volonté aussi d'exorciser le mal, puisque des policiers dont les aînés avaient organisé et accompli des crimes innommables seront présents au pied du pont de Bezons. L'Elysée, qui a rendu public, hier, le déroulé de la commémoration, a prévu d'inviter des historiens et des romanciers. Ceux qui avaient, en leur temps, eu le courage d'alerter sur ce crime contre l'humanité. Ces historiens seront, aujourd'hui, face à des autorités qui, en octobre 1961, avaient nié les faits. La cérémonie se veut une reconnaissance d'un crime d'Etat perpétré par des policiers français, sur ordre du ministre de l'Intérieur, Michel Debré et exécuté par le préfet de Paris, Maurice Papon. Mais cette commémoration sera muette. Aucun discours n'est prévu, souligne le communiqué de l'Elysée. Seulement «un texte du président sera diffusé». Une cérémonie aphone qui en dit certainement long sur les tergiversations d'un Etat qui semble avoir d'énormes difficultés à reconnaître des crimes commis par ses agents, sous les fenêtres même des lieux de pouvoir. Une République qui se masque les yeux, se bouche les oreilles et garde son peuple dans l'ignorance sur un fait plus que documenté, avec d'innombrables témoins, que ferait-elle pour des massacres commis dans les villages perdus du Ouancharis, des Aurès ou du Djurdjura? Cette interrogation, très légitime, marque le très long chemin que la France devra impérativement parcourir pour décoloniser sa mémoire coloniale. «Cette décolonisation qui doit s'opérer, aujourd'hui, s'annonce comme une priorité», préconisait le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra à partir de Bamako. Le ministre qui qualifiait l'attitude vis-à-vis de faits historiques reconnus par tous et déformés par le président Macron de «faillite mémorielle», «pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays (anciennes colonies françaises, Ndlr) dans des situations de crise malencontreuses». La crise est bien là et tient ses origines d'une vision raciste de l'Histoire qui ne reconnaît d'autres nations que celles édifiées par les «blancs». Dans ce registre, Macron a fait bien pire que tous ses prédécesseurs, faut-il le rappeler. De Gaulle, Pompidou, D'Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande connaissaient la limite à ne pas franchir parce qu'ils savaient la nature et le poids de l'Algérie. Ces derniers tentaient désespérément de mettre le couvercle sur leur hantise mémorielle. Macron a magnifié le colonialisme et décrété que l'Algérie n'était rien avant l'arrivée de l'armada française. Un territoire successivement conquis, disait-il, une vision simpliste de l'Histoire. A-t-il fait mine d'oublier ou ne savait-il même pas qu'il existait un consul français en terre d'Algérie? «Cet Etat, qui existe, signifie que sous l'Empire ottoman, il n'était pas nécessaire de passer par le point de vue central, c'est-à-dire par la Turquie, pour avoir une souveraineté. c'était le cas de tous les pays de l'Empire ottoman», rectifiait l'historien Benjamin Stora sur une chaîne de télévision française. Au moment où la Gaule n'était même pas encore pensée, lorsque les terres de l'Europe occidentale étaient l'habitat de tribus éparses et sans culture, en Numidie, actuelle Algérie, des rois et des reines régnaient et combattaient avec leurs peuples pour la souveraineté de leur pays et la sauvegarde de leur civilisation? Le lieu du supplice du roi numide, Jugurtha, à Rome témoigne de ce passé glorieux et authentiquement algérien. Et Lamamra en a apporté son témoignage contemporain. «Une pièce de l'histoire de l'Algérie viscéralement ancrée dans le coeur de Rome», avait-il affirmé dans un tweet. Les propos scandaleux de Macron sont un franchissement inacceptable de cette frontière et impactent immanquablement les rapports entre les deux pays. «Les relations avec la France relèvent de la responsabilité du peuple et de l'histoire. L'histoire ne peut pas être falsifiée. L'Etat est debout avec tous ses piliers, avec sa puissance, la puissance de son armée et son vaillant peuple», disait le président de la République, lors de son dernier entretien avec la presse nationale. Le Président a parlé avec son coeur d'Algérien: «Nous sommes agressés dans notre chair, notre histoire, dans nos martyrs, nous nous défendons comme nous pouvons».