La plupart des ministres du gouvernement Hamdok ainsi que le Premier ministre lui-même et les membres civils du Conseil de souveraineté ont été arrêtés, hier, avant que le général al-Burhane n'annonce la dissolution de ces deux instances et la proclamation de l'état d'urgence au Soudan où l'union sacrée post-dictature n'aura pas duré une année. «J'appelle les forces armées à relâcher immédiatement les personnes retenues», a aussitôt exhorté l'émissaire de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, jugeant «inacceptables» les arrestations de la quasi-totalité des civils au sein des autorités de transition. La Ligue arabe et l'Union africaine ont exprimé leur «inquiétude» tout en appelant au «dialogue». Les Etats-Unis, dont l'émissaire Jeffrey Feltman était, la veille, reçu par le Premier ministre, Abdallah Hamdok, aujourd'hui arrêté, se sont déclarés «profondément inquiets», avertissant que «tout changement du gouvernement de transition mettait en danger l'aide américaine». Quant au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, il s'est adressé à la communauté internationale qu'il invite «à remettre la transition soudanaise sur les rails». Depuis plusieurs semaines, la transition que connaissait le Soudan après la chute d'Omar el-Béchir semblait de plus en plus précaire, et les divisions politiques, aggravées par les luttes de pouvoir, ont atteint leur paroxysme au point que des affrontements ont opposé, ces jours derniers, le camp pro-démocratie et le camp pro-armée. Ces divisions ont miné jusqu'au Conseil de souveraineté que présidait le général al-Burhane, composé pour moitié de civils et pour moitié de militaires. Devenue intenable, la tension entre les deux camps a vu, le 16 octobre, les pro-armées planter leurs tentes devant le Palais présidentiel et, le 21 du mois courant, les pro-civils ont répliqué par dizaines de milliers dans plusieurs villes du pays, persuadés que leur démonstration de force allait «sauver la démocratie». Peine perdue, même si l'Association des professionnels avait appelé à la «désobéissance civile» face à ce qu'elle entrevoyait comme «un coup d'Etat militaire violent». Lors de sa constitution, le Conseil souverain s'était engagé à restituer le pouvoir aux civils avant fin 2023, date à laquelle le Soudan devait connaître les premières élections libres depuis 30 ans. Mais c'était compter sans les divisions internes qui minent le camp pro-démocratie, scindé entre l'Association des professionnels et les Forces de la liberté et du changement (FLC), la grande alliance anti-Béchir, constituée en 2019. Toujours est-il que la rupture est désormais consommée entre civils et militaires, avec l'arrestation du Premier ministre Abdallah Hamdok, après qu'il a refusé de soutenir le coup d'Etat. Les dirigeants civils sont détenus dans un endroit non identifié. Des centaines de manifestants sortis à Khartoum et Oumdurman, la ville jumelle séparée par les eaux du Nil, aux cris de « Révolution», ont été dispersés à coups de tirs à balles réelles. La transition post-el-Béchir dans un Soudan qui n'a jamais cessé de vivre sous la férule d'un deal militaro-islamiste depuis son indépendance, il y a de cela 65 ans, battait de l'aile depuis son commencement. Commencée sous forme d'une union sacrée, elle s'est peu à peu diluée sous l'effet des positions et des avantages politico-économiques pour des dirigeants soucieux, avant toute chose, d'assurer leur pérennité. Jusqu'à dimanche matin, à toutes les personnalités étrangères venues s'enquérir de la situation, le chef du Conseil de souveraineté, le général Abdel Fattah al-Burhane, et le Premier ministre, Abdallah Hamdok dont le sort reste, pour l'instant, inconnu ont assuré de leur attachement à «la coopération entre civils et militaires» et à «la transition démocratique». Comme si l'un et l'autre ne voyaient rien venir...