La Libye s'est engagée dans la dernière ligne droite de la présidentielle du 24 décembre, dont les candidats sont d'ores et déjà connus, mais la persistance des désaccords entre camps rivaux et de tensions sur le terrain font planer un doute sur sa tenue. Sur le papier, le pays semble en passe de franchir une étape majeure dans son interminable transition politique après une décennie de chaos. C'est ce que veut croire la communauté internationale, qui a appelé lors d'une conférence à Paris mi-novembre à la tenue d'élections «inclusives» et «crédibles» et menacé de sanctions tous ceux qui y feraient obstacle. La Haute commission électorale (HNEC) se dit prête a en assurer l'organisation. Pour la présidentielle, elle a publié une première liste de candidats et distribue désormais les cartes d'électeurs, apportant un semblant de normalité au processus. Dans les faits, les images rappellent que le pays avance en terrain miné: lundi, des partisans de l'homme fort de l'Est, Khalifa Haftar, candidat à la présidentielle, ont bloqué l'accès au tribunal de Sebha (sud) pour empêcher Seif al-Islam El Gueddhafi, fils de l'ex-dictateur Maamar El Gueddhafi, de faire appel du rejet de sa candidature. Le ministre de l'Intérieur Khaled Mazen a tiré la sonnette d'alarme mardi. «La perturbation continue du plan de sécurité et la recrudescence des violations et des agressions saperont les efforts déployés pour la sécurisation (du processus électoral), et cela aura un impact direct sur le déroulement des élections et notre engagement à les tenir à la date prévue», a-t-il dit. Cela fait plusieurs semaines que les tensions vont crescendo: fin septembre, le Parlement basé à Tobrouk (est) a voté une motion de censure contre l'exécutif intérimaire chargé de conduire le pays vers les élections, prenant le risque de torpiller le processus. Mi-novembre, des dignitaire de plusieurs villes ont appelé au boycott du scrutin et plusieurs bureaux où les Libyens retirent leur carte d'électeur ont fermé sous la pression de groupes hostiles à la candidature de Seif al-Islam, dont le père a été tué lors d'une révolte populaire en 2011. A moins d'un mois de l'échéance, la liste définitive des candidats n'est pas arrêtée en raison des multiples recours déposées, notamment contre la candidature du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah. Quelque 2,4 millions de Libyens ont récupéré leur carte d'électeur, sur une population de sept millions, selon la commission. Mais non sans accrocs: sur les réseaux sociaux, certains ont affirmé n'avoir pas trouvé leurs cartes, récupérées selon eux par d'autres, alimentant les suspicions de fraude pré-électorale. Dans ce contexte, la tenue d'élections à la date prévue paraît «très peu probable», estime Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au centre de réflexion Global Initiative. Le processus électoral est «tellement fragile, incomplet et dysfonctionnel, les institutions de Tripoli sont tellement rongées par le factionnalisme politique, que les dynamiques de violence et de polarisation vont reprendre avant le 24 décembre», décrypte-t-il. Aboutissement d'un processus laborieux parrainé par l'ONU, la présidentielle, qui doit être suivie d'un scrutin législatif en principe dans un mois, a en effet été compromise par l'adoption début septembre de la loi électorale qui la régit, ratifiée sans vote et taillée sur mesure pour Khalifa Haftar. «A la base de tous ces problèmes il y a une loi électorale peu claire, avec des contradictions», résume Claudia Gazzini, experte à l'International Crisis Group. Des doutes subsistent aussi sur la capacité des autorités à protéger les bureaux de vote. Car malgré les progrès politiques enregistrés depuis la signature d'un cessez-le-feu entre camps rivaux en octobre 2020, la sécurité reste précaire, le pays étant miné par le poids des milices et la présence de mercenaires étrangers. «Personne n'a jamais sérieusement eu l'illusion que la sécurité serait garantie dans tous les bureaux de vote de ce pays grand comme trois fois comme la France», soutient M. Harchaoui. «Dans tous les scénarios, il y aura de la fraude, des boycotts, blocus, intimidation d'électeurs et affrontements. Les scénarios les plus optimistes sont ceux où ces irrégularités ne sont pas trop spectaculaires et pas trop massives», poursuit-il. En dépit des irrégularités ayant jalonné le fragile processus de pacification, la communauté internationale continue de tout miser sur les élections. «Du point de vue organisationnel, technique, légal, la probabilité (d'organiser les élections) devrait être très basse mais une coalition au niveau international continue de dire qu'il faut qu'elles aient lieu le 24 décembre», observe Claudia Gazzini. Sur demande de l'émissaire de l'ONU pour la Libye, Jan Kubis, 9 organisations internationales d'observation ont déposé une demande d'accréditation pour ces élections. Des pays, comme la France, tentent aussi d'y dépêcher des observateurs.