L'Expression: Qui est Karim Zaghib? Karim Zaghib : J'ai plusieurs casquettes... Je suis inventeur, entrepreneur et chercheur spécialisé dans la transition énergétique et, en particulier dans les batteries Lithium-Ion. Une technologie utilisée dans nos vies quotidiennes pour les portables, les téléphones, les ordinateurs et les voitures électriques... je suis auteur de 600 brevets et j'ai vendu avec mon équipe, à l'époque 62 licences à travers le monde. Avec mon équipe, on a inventé la batterie Lithium-ion à base de phosphate de fer... Aujourd'hui, on a plein de sociétés qui utilisent cette technologie, comme Tesla Motors ou encore en Chine aujourd'hui, par le numéro Un mondial, CISIA Pied, une compagnie chinoise et d'autres encore... En fait, cette technologie est très sécuritaire et ne coûte pas cher. Vous savez, aujourd'hui, le monde entier travaille à améliorer ces aspects de la sécurité dans les batteries, notamment les risques d'explosions. Cette technologie a également plusieurs applications, pouvant être utilisée dans le stockage de l'énergie. C'est une technologie qui est mature et abordable, en matière de coûts de production. Vous êtes un produit de l'école algérienne? Absolument. Moi j'ai fait l'école algérienne quand elle était au sommet. Je suis rentré à l'école primaire en 1968. Là vous me renvoyez à une belle époque où les choses étaient simples. L'école était sacrée à l'époque. C'était notre vie, notre maison. Et l'enseignant ou l'enseignante était l'exemple numéro un de la société. Donc, tout était basé sur l'humilité et le respect. à l'époque, seules la ténacité et la persévérance pouvaient vous aider à parvenir à vos objectifs et à réussir. Mais tout cela était basé sur le respect. Est-il possible de dire aujourd'hui, que cet apprentissage à l'école algérienne, a été une bonne base pour votre réussite? Si aujourd'hui, on me demande de résumer les conditions ou les raisons de la réussite de ma carrière, en quelques mots, je dirais que c'est grâce aux six premières années d'école. Parce que cette éducation était basée, non seulement, sur l'apprentissage, mais aussi sur d'autres paramètres très importants, comme la discipline, la solidarité, la simplicité et la créativité. A l'époque, en 1968, il n'y avait pas de stylos et les moyens sophistiqués d'aujourd'hui. Nous, c'était plutôt des bouteilles en verre en guise d'encriers, de l'eau, de l'encre en sachets importés des pays de l'Est, RDA ou Urss, que nous mélangions, tous seuls, pour obtenir l'encre d'écriture avec le bon dosage. Pour les élèves la couleur était bleue ou violette, et rouge pour les enseignants. Mais la solidarité était de guise, des fois on avait un encrier partagé entre deux ou même quatre élèves. Il y avait aussi une petite branche ou un bâton, en guise de porte-plume, qu'on appelait à l'époque «chouka». Nous en prenions soin, et la nettoyons affectueusement avec un abrasif, on la ramenait propre pour l'exhiber avec fierté devant le professeur et tous les autres élèves. Et nous n'avions que trois cahiers en tout et pour tout, un cahier de 32 pages, un autre de 96 pages et un autre de 120 pages pour toute l'année. Le cartable nous était offert par l'école, et nous portions tous les mêmes tabliers, avec la même couleur portant nos noms et prénoms... Je me rappelle aussi, que malgré le peu de moyens dont nous disposions, on était propre. Pourtant, nous n'avions pour la majorité d'entre nous qu'un seul habit, pour toute la semaine. Nos mamans, les lavaient et les séchaient la nuit, pour que le matin venu, on pouvait le porter. Le bain, hammam, c'était deux fois par semaine avec nos parents et la coupe de cheveux était très importante. En rentrant chez nous, c'était aussi dans la joie, parce qu'on savait qu'on allait se régaler avec les deux plats nationaux, le couscous et le «berboucha hlib», une sorte de gros couscous noir à base d'orge. Que de souvenirs, vous m'avez transporté loin. C'est la première fois que j'en parle avec un journaliste. J'en suis très ému. Vous êtes membre du Commissariat aux énergies renouvelables en Algérie, quelle est votre vision de cette transition que devrait opérer l'Etat? Effectivement, j'ai été contacté par Noureddine Yassaâ, Commissaire aux énergies renouvelables pour siéger dans cette institution, il y a un an et demi. Je suis un membre du comité chargé de la question des énergies renouvelables et plus particulièrement, la nécessaire transition énergétique par le recours aux sources d'énergie solaires et éoliennes. Et l'électrification des transports, qui reste très abordable pour l'Algérie, pour peu qu'une stratégie réelle soit esquissée. Cela illustre une stratégie d'ouverture de l'Etat algérien, pour une inclusion des compétences nationales, et celles établies à l'étranger. Cela dit, il y a des groupes qui travaillent très fort, et qui font beaucoup d'efforts en Algérie. Je suis au service de l'énergie depuis 35 années, dont 27 années au service d'une compagnie canadienne, qui s'appelle Hydro Québec. C'est l'équivalent de la compagnie française EDF. C'est la plus grosse compagnie d'électricité en Amérique du Nord. Elle est au Top mondial, en matière d'hydro-électricité. C'est-à-dire qu'elle produit de l'électricité à 100% à base d'hydraulique. Donc je suis bien placé pour parler de l'énergie. Par rapport aux potentiels en énergies renouvelables que recèle l'Algérie, quelles solutions préconisez-vous? J'ai beaucoup étudié la géographie de l'Algérie. On a les grandes surfaces, notamment au Sud. En revanche, ce qu'il faut, c'est la diversification du portfolio énergétique. Je prends toujours l'exemple de la Norvège, un pays que je connais et que j'ai étudié, qui est assez édifiant. Un pays qui, en se basant sur le pétrole et le gaz, a su édifier une économie verte et des potentiels au top mondial reposant sur des énergies bleues. Il faut éviter d'investir dans les nouvelles grandes infrastructures, comme les aéroports, les routes, etc... parce que l'Algérie a déjà investi dans les villes et les infrastructures. Donc, il y a des villes, des routes et des aéroports là où il y a le gaz et le pétrole. C'est là où je vais mettre mes Mégas parcs solaires. C'est ce qu'on appelle le Grand Sud, où il y a les grands parcs solaires. Ensuite, on arrive au Nord. Là où les coupures de courant sont récurrentes. Il faut penser au Nano-réseau, ou le Micro réseau, ou encore le réseau hybride. Dans le cas des petits villages, où l'accessibilité est difficile, il faut opter pour le Nano réseau. Il faut mettre les panneaux et les doter de batteries, et la maison devient autonome. Pour ce qui est du Micro-réseau, dans un quartier ou un nouveau village, il est parfaitement possible de mettre en place l'énergie solaire dotée de stockage, avec une capacité de 3 à 16 KW. Pour ce qui est des grandes villes, comme Alger où le réseau est saturé lors des pics de consommation, on peut opter pour le stockage de l'énergie, à travers la mise en place de zones de stockage. Et l'énergie éolienne, il ne faut pas la négliger aussi, notamment dans les régions où la force des vents est bénéfique. Il faut penser rapidement à un plan stratégique pour rendre l'Algérie indépendante des énergies fossiles, gaz et pétrole à l'horizon 2050. Il faut commencer tout de suite. êtes-vous disposé à apporter un plus en Algérie, en matière de progrès technologique ou de projets en relation avec vos inventions? Les potentialités naturelles et humaines de l'Algérie sont très choyées à l'international. Nous avons des réserves de minerais qui sont très précieuses à l'international. Si tu n'as pas les minéraux, tu ne peux pas investir de manière aisée dans les domaines de téléphonie, ordinateur ou voiture électrique. Donc, mon idée est de ramener en Algérie ce projet que je développe au Canada. Et on commencera de la mine jusqu'à la transition énergétique et tout le reste. Et ce n'est pas que des paroles. Moi, j'ai déjà eu à monter des projets d'envergure dans différents pays, et je peux vous dire que ça ne peut que marcher. Seulement, il y a des garde- fous à mettre en place pour réussir le projet. D'où le choix des personnes et des parties avec lesquelles doit démarrer ce projet. Des gens intègres et solides qui ne touchent pas à la corruption, qui optent pour la transparence, avec des équipes de choc, des licenciés, de bons budgets avec une bonne gouvernance aussi. Il fut aussi de bons contrôleurs pour suivre le projet. Et comme on dit ici au Canada «On time, on Budget.». Comment remédier à la fuite des cerveaux dans le cas de l'Algérie? Il faut méditer l'approche ou l'exemple chinois. Il y a une trentaine d'années, tous les Chinois n'avaient qu'une idée en tête, rallier les USA, le Canada, etc... Face à cette situation, la Chine a développé une stratégie payante, en investissant dans les laboratoires, la promotion des profs, l'infrastructure à l'université... Elle est allée jusqu'à accorder de gros bonus aux professeurs et aux étudiants, qui faisaient des recherches et qui les publiaient... à partir de là, elle a développé une politique incitative à l'égard de la diaspora chinoise, à travers des formules diverses. Aujourd'hui, les jeunes Chinois ne partent plus comme avant aux USA. êtes-vous satisfait de votre rendement au Commissariat aux énergies renouvelables? Oui, je suis très satisfait de mes prestations. Mais, là où je ne suis pas satisfait, c'est au niveau de la communication avec les responsables du pays. Je vous donne l'exemple du Canada, un ministre ou un Premier ministre vous appelle constamment, et vous donne son numéro. L'accès aux hauts responsables de l'état est très facile. Je vous donne l'exemple de Sétif où j'avais un projet d'une ferme intelligente et autonome, il fallait 3 à 4 mois pour demander une audience. Quant au final, on arrive à avoir la secrétaire du wali, on lui demande son nom, on nous répond que c'est confidentiel. Il faut faciliter l'accessibilité aux «décisions-maker». C'est d'ailleurs le discours du président Tebboune. Je pense que l'ouverture est là, il faut juste trouver les moyens et les méthodes appres.