Les autorités politiques algériennes n'arrivent pas à se départir de leur habitude à diriger de façon autoritaire l'économie du pays. Forcées de subir les états d'âme et les mauvais coups des politiciens, les entreprises sont les premières à pâtir des lois souvent confuses et contradictoires qui résultent de cette gestion verticale. Pour faire face à la demande en énergie électrique durant la saison estivale, d'importantes enveloppes financières sont dégagées annuellement pour renforcer les installations. Est-ce l'ultime solution qui se présente ? Deux problèmes se posent pour nous : d'abord notre boulimie énergétique, nous consommons trop d'énergie, notamment l'électricité, par rapport à ce que nous produisons comme richesse. L'Aprue indique qu'en «moyenne, un foyer algérien consomme entre 1800 à 2000 kilowatts-heure/an, alors que la norme est de 200 à 250 kilowatts-heure/an. Il consomme aussi le double de la consommation d'un foyer d'autres pays du Maghreb». Deuxième problème, la consommation électrique en pointe est anormalement élevée par rapport à la consommation en période normale. En 2017, le 30 juillet, elle avait atteint 13881 MW, en hausse de 8,1% par rapport au pic de l'année 2016. Les raisons à cela sont nombreuses, parmi lesquelles, d'abord, et nous y reviendrons, les modes et matériaux utilisés dans la construction, le choix porté par les ménages sur des équipements énergétivores qui inondent le marché. Alors, faut-il porter nos capacités de génération électrique au niveau de notre demande en pointe ? La réponse est non, c'est une aberration économique que d'installer des capacités qui ne fonctionneront que quelques jours, ou semaines par an. Aucun pays ne le fait, fut-il dans l'aisance financière. Il faut discipliner la demande, et là est tout le défi. Ne faudrait-il pas alors penser à d'autres alternatives, surtout avec l'amenuisement des ressources financières ? L'Aprue nous dit qu'en moyenne, «un foyer algérien consomme entre 1800 et 2000 kilowatts-heure/an, alors que la norme est de 200 à 250 kilowatts-heure/an. Il consomme aussi le double de la consommation d'un foyer d'autres pays du Maghreb». Ceci, alors que la création de richesses dans notre pays reste encore insuffisante, au regard de notre consommation énergétique. Nous consommons deux fois plus que les pays de l'OCDE pour produire une unité de richesse, notre efficacité énergétique est de 0,35 tep (tonne-équivalent pétrole) par unité de PIB, soit le double de celle de l'OCDE. Notre demande énergétique devrait doubler d'ici 2030 et tripler d'ici 2040. C'est dire la situation de précarité énergétique dans laquelle nous nous trouvons. De fait, une croissance soutenue devrait doubler notre consommation électrique pour nous placer au moins au niveau de l'Afrique du Sud, soit 5 013 kWh/habitant/an. Notre production d'électricité, qui est à base de gaz naturel, ressource épuisable, n'est pas soutenable sur le long terme. Il faut donc basculer résolument vers les énergies renouvelables et, surtout, gagner en efficacité énergétique pour nous placer aux standards internationaux. Ce sera difficile, car tout le modèle de consommation, ainsi que les comportements seront à revoir. Nous sommes, certes, en situation financière difficile, mais la transition énergétique doit figurer parmi les priorités dans les arbitrages d'allocation de ressources. Ne pensez-vous pas que cette situation est le résultat du retard accusé dans la transition énergétique ? En effet, nous avons accusé d'importants retards dans la transition énergétique, c'est-à-dire le passage d'un modèle de consommation énergétique dominé par les énergies fossiles, pour nous les hydrocarbures, vers un modèle non carboné, porté par les renouvelables et, demain, le nucléaire. En 2015, grâce aux énergies renouvelables, sans compter les centrales hydroélectriques, un électron sur dix produit dans le monde était «vert». Si on compte l'hydroélectricité, c'était deux sur dix. Quant à nous, la part des renouvelables dans notre consommation énergétique est dérisoire, je n'ose même pas évoquer le chiffre ! Cela alors que notre pays est une pile électrique à ciel ouvert, et nous sommes les derniers à le savoir. Songez que l'ensoleillement naturel de 86% de notre territoire, soit le Sud, est de 3500 heures par an, le Nord, quant à lui, est ensoleillé 2650 heures par an. Les renouvelables sont la solution, d'autant que nous avons aussi des ressources conséquentes en gaz, ce qui permet d'envisager le développement de centrales hybrides solaires/gaz. Les coûts du solaire ont fortement baissé, et cette source d'énergie est désormais compétitive. Les Marocains, avec leurs centrales Noor, sont partis avec un coût du KWh à 25 cents, ils en sont à 7 cents ! Un progrès énorme, dû notamment aux technologies de stockage de l'électricité qu'ils ont employées. Tout reste à faire chez nous. Il y a un coût à payer, mais les équilibres énergétiques nationaux sur le long terme sont une question stratégique majeure qu'il faut considérer avec sérieux. Je ne comprends pas pourquoi le Conseil supérieur de l'énergie n'est pas réactivé, car il y a des choix et des décisions stratégiques impératifs qu'il convient de faire et qui doivent être arbitrés au sommet de l'Etat. Parmi eux la conduite de la transition énergétique, ses objectifs d'étapes, les moyens et les modes opératoires. Le partenariat international doit être vigoureusement sollicité, car il faut absolument profiter de la crise aiguë que vit l'industrie du renouvelable en Europe face à la concurrence asiatique. Nous avons un pouvoir de négociation réel avec ces entreprises, vu l'ensoleillement naturel exceptionnel de notre pays, l'ampleur de notre demande, et surtout notre expérience et notre expertise industrielle. La transition énergétique, de mon point de vue, doit être conduite par notre champion énergétique national, notre compagnie pétrolière Sonatrach, qui s'est construite sur des challenges technologiques d'avant-garde et qui est en mesure de mener des partenariats stratégiques avec les leaders technologiques européens aujourd'hui en difficulté. Nos universités, notre recherche nationale ainsi que nos territoires doivent être impliqués dans ce qui devrait être le grand projet énergétique national des vingt années à venir. De la même manière, il faut que la transition énergétique soit comprise comme une grande ambition industrielle. Il faut se garder d'importer clés en main des systèmes solaires ou éoliens. Il faut aller vers une industrie nationale du renouvelable dans le cadre de partenariats stratégiques avec des leaders mondiaux. Ces partenariats peuvent se prolonger par des liens de capital, il n'y a aucun risque pour notre souveraineté, dans la mesure où nous avons un puissant énergéticien national qui conduit le processus. Il faut aussi veiller à maîtriser toute la chaîne des valeurs. Nous avons des ressources en silice et pouvons entrer dans la filière du silicium, matériau utilisé dans les cellules photovoltaïques. La filière du silicium ouvre en même temps la voie vers les semi-conducteurs. Le développement pourrait ainsi avoir un caractère multidimensionnel et exercer un effet de levier sur le développement de l'industrie électronique en Algérie. Nous avons aussi des ressources en lithium et pouvons rentrer dans la filière (toujours en partenariat) des batteries lithium-ion, qui seront la clé du nouveau paradigme de la mobilité (voitures hybrides, électriques) mais aussi de la connectivité pour les trente années à venir. Là aussi, la fertilisation croisée entre énergéticiens nationaux, universités et entreprises, est la clé. Quid justement de l'efficacité énergétique dans le bâtiment, notamment dans les nouveaux programmes de logements ? La question est importante, car nous avons abandonné le génie traditionnel en matière d'architecture et d'urbanisme pour nous précipiter sur les concepts utilisés lors de la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, construction industrialisée en béton, avec coffrages tunnels, utilisation massive du parpaing, etc. Les matériaux traditionnels en terre crue (toub ou galleb) à fort coefficient d'isolation thermique ont été abandonnés, méprisés. De même, l'urbanisme des grandes villes du Sud est ahurissant, avec ces grandes avenues infréquentables sous le soleil de midi la moitié de l'année. Où est le génie qui a fait les ksour, où sont ces maisons où il fait frais en été sans besoin de climatiseur ? Un bilan doit être fait au niveau des territoires et les universités, la recherche et les entreprises doivent se mobiliser pour développer de nouveaux concepts fondés sur le génie traditionnel. Dans cette même perspective, j'insiste pour dire que je suis un fervent militant des solutions simples, locales, alliant des systèmes solaires distribués, photovoltaïques mais aussi thermiques (la technologie des chauffe-eau solaires est simple) et le recours aux matériaux de construction traditionnels, à fort coefficient d'isolation thermique, modernisés et adaptés, bien entendu. Une tâche exaltante pour nos universitaires et nos entreprises ! A terme, avec le développement d'internet dans notre pays (nous accusons un trop grand retard), nous irions vers des concepts de smart grid, où les citoyens produiraient une part de leur électricité et, par une optimisation effectuée par le système, verseraient au réseau une autre part. Si 50% des Algériens produisaient 20% de leur électricité, c'est 10% de la demande nationale qui serait couverte !