«Les banlieues sont comme une cocotte-minute qui peut exploser à n'importe quel moment », estiment les habitants du quartier. La France a renoué avec la violence. La banlieue parisienne s'est enflammée de nouveau durant les trois derniers jours. Dans la soirée du mercredi, une quinzaine de voitures ont été brûlées, dont une patrouille qui a été prise en embuscade. Des interpellations à la pelle. Du côté des services de sécurité, 7 policiers ont été blessés. Le feu «a pris» à la cité des Bosquets, s'est propagé dans la ville de Montfermeil pour arriver au quartier de Clichy-sous-Bois. Ces trois localités, dont la population est issue de l'émigration, étaient d'ailleurs le berceau des émeutes de novembre de l'année dernière. «Ces villes sont comme une cocotte-minute qui peut exploser à n'importe quel moment», déclare Samba, un jeune Français d'origine malienne, que nous avons rencontré dans la cité des Bosquets. Premier constat : la police et les autorités locales ont peur de cette banlieue. Enjeu électoral Cette violence est-elle juste une manifestation spontanée, ou obéit-elle à des desseins politiques? Lesquels et pourquoi? Autrement dit, ces émeutes soulèvent-elles un malaise social ou un malaise politique? Un certain nombre d'observateurs de la scène française estiment que la violence dans les banlieues est à la fois sociale et politique. Il n'est un secret pour personne que l'immigration constitue un enjeu et est au centre d'un large débat en France, à travers notamment les questions d'intégration, le chômage, la discrimination...Et ces quartiers sont habités dans leur majorité par des Français d'origine étrangère. Selon les habitants de ces quartiers que nous avons rencontrés sur place, le mal est plus profond qu'on le croit. La vie quotidienne, expliquent-ils, est plus que déplorable. «J'ai grandi dans cette ville. Ils ne nous considèrent pas comme des Français à part entière», déclare encore Samba. Deux autres jeunes, d'origine algérienne et marocaine, s'invitent à la discussion. Pour eux, l'affaire est plus politique que sociale. «Certes, les conditions de vie sont plus que déplorables, mais la raison essentielle à mon avis est politique. Ils nous provoquent». Comment? A cette question, le jeune Samir, la trentaine, sans travail depuis des lustres, répond: «La police de Sarko» nous provoque chaque soir pour nous pousser à sortir dans la rue. Ils nous filment ensuite pour dire aux Français que les Arabes et les Africains sont des casseurs afin qu'ils donnent raison à la politique «sarkozienne», et qu'ils y adhérent. Avant de s'interroger: «Pourquoi Sarko» est venu ici, avant-hier, pour saluer le courage et le professionnalisme de la police qui a baissé le pantalon à un jeune en public? La fracture Ce n'est pas une provocation ça?. Pour Rachid, un jeune Français d'origine algérienne, «un palier est franchi, lorsqu'on s'en prend à la dignité des gens...». En visite mercredi soir dans les villes de Seine Saint-Denis, lieu des émeutes, la candidate à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal, s'est sévèrement attaquée à l'action de Sarkozy, son concurrent direct aux prochaines élections. «On est dans un système de production massive de délinquance...», s'est-elle indignée. «Sa ( Sarkozy) politique est un facteur de trouble, de désordre et d'inefficacité politique», accuse l'ancien ministre du Parti socialiste. Ainsi, «la ville des émeutes» s'est imposée comme une arène où les hommes politiques de tout bord se lancent des accusations, dans l'espoir de «briller» dans les sondages. Et pour cause, n'ayant pas accepté les propos de sa rivale, Nicolas Sarkozy, lui a donné la réplique à partir de la ville de Perpignan. «J'observe que Ségolène Royal trouve que je n'ai pas été assez ferme. Dommage qu'elle n'ait voté aucun de mes textes, aucun de mes budgets, aucune des mesures que j'ai proposés», a ironisé le ministre de l'Intérieur. En filigrane de cette «guerre des mots» entre politiciens, la société française, elle, voit son tissu social s'effilocher au point que les émeutes sont différemment appréciées, selon que l'on vit en banlieue ou à Paris intra-muros. La fracture sociale est de plus en plus béante, au point où la sacro-sainte «spécificité française» en prend un sérieux coup. L'on n'est plus dans le schéma d'une France «libérale, égalitaire et fraternelle». Bien au contraire, les «Français de souche», «matraqués» par les images d'une banlieue «réfractaire» à toute autorité écoutent à peine les plaintes des jeunes issus de l'immigration. Selon Christian, un professeur universitaire, la responsabilité de ces émeutes est partagée. «A mon sens, les deux parties sont responsables de ce qui arrive aujourd'hui. Les agressions, les vols et l'insécurité en général dans ces villes, sont quasi quotidiens. Les habitants sont mal organisés. Je ne trouve donc pas de prétexte politique à cette affaire. Je ne vois pas qui peut en profiter», soutient Christian. Le constat final est que la situation risque de dégénérer à n'importe quel moment. «Mais jusqu'à quand?», s'interrogent les habitants du quartier.