«Raymond Depardon photographie ce qu'il voit à la jonction de ce qu'il ne voit pas. Je regarde ce que je ne vois pas, en croyant savoir ce que cela signifie. Son oeil dans ma main. Son corps est ma mémoire. Ce qui m'intéresse chez le photographe, c'est son corps, son errance, son voyage: je me glisse en lui, j'épouse ses mouvements, son regard, sa culture, ses préjugés peut-être, mais aussi sa singularité. Errance de déclic en déclic», ecrit Kamel Daoud dans le livre «Son oeil dans ma main. Algérie 1961-2019», publié aux Editions Barzakh et Images Plurielles, 2022. Ce dernier est, en effet, un beau livre qui réunit des photos et des textes en communion, qui sont visibles depuis le 8 février dernier dans une grande et belle exposition à l'Institut du monde arabe... «En 1961, le tout jeune Raymond Depardon réalise plusieurs reportages photographiques à Alger, puis à Evian, pendant les premières négociations pour mettre fin à la guerre d'Algérie. Perspective algérienne Près de soixante ans plus tard, avec le désir de publier ces photographies dans une perspective algérienne, il rencontre Kamel Daoud. Porté par Barzakh, la maison d'édition algérienne de l'écrivain, un projet d'ouvrage à quatre mains prend forme», peut-on lire sur la page de l'IMA. Il s'agira ainsi d'un beau livre faisant entrer en résonance photographies «?algériennes» de 1961 et textes inédits de Kamel Daoud. «Celui-ci a dans l'idée d'écrire des textes très différents, presque disjoints des photos?; il s'agira de méditations ou de rêveries sauvages. Par ailleurs, des «?comètes?» - une explication de l'image, un commentaire, une fulgurance inspirée par une photographie... - accompagneront une sélection de photos choisies par l'artiste. Raymond Depardon retourne en Algérie en 2019 et y réalise une série de photos, à Alger puis à Oran, ville où habite Kamel Daoud. Les Editions Barzakh proposent alors, à l'Institut du monde arabe, de monter une exposition à partir du livre. Exposition éponyme et sensible Son président Jack Lang est immédiatement séduit: la sortie du livre s'accompagnera d'une exposition éponyme, sensible, avec des images rares et des textes inédits qui se répandront en écho tout en pouvant être vus ou lus séparément?: deux mondes, deux regards indépendants et pourtant complémentaires qui s'enrichissent mutuellement... Installée dans deux espaces, l'exposition présente 80 photographies de Raymond Depardon et cinq textes inédits de Kamel Daoud. Elle comprend trois sections: Alger 1961?; Evian-Bois d'Avault 1961 / Oranie 1961 au niveau -1, Alger et Oran 2019 au niveau 2. Dans des salles rehaussées d'un dégradé de bleus évocateur de la Méditerranée, au fil d'une scénographie fluide qui facilite le passage entre les deux médiums, le visiteur navigue entre les grands textes, suspendus comme autant d'installations, et ménageant une transparence qui permet de deviner les photos à travers eux. Textes et photographies sont encadrés à l'identique pour en souligner l'égale importance. Les «?comètes» sont traitées comme autant de petites oeuvres, formant une ligne d'horizon vers laquelle tend le regard. Un «?texte d'exfiltration?» guide le visiteur vers la sortie?; et un film inédit avec Raymond Depardon et Kamel Daoud, Kamel et Raymond (22'), réalisé par Claudine Nougaret pour l'exposition, conclut le parcours.