«L'Algérie n'a que 40 ans d'indépendance et je crois que parfois on la juge assez durement.» Né en 1977, Nassim Amaouche, a étudié à l'Institut international de l'image et du son, section réalisation. De l'autre côté, est son film de fin d'études. Il a également réalisé un documentaire sur le photographe de guerre Marc Garanger. Nassim Amaouche a présenté, lors des rencontres cinématographiques de Béjaïa qui se sont déroulées du 28 mai au 2 juin, un film co-réalisé en Jordanie: Quelques miettes pour les oiseaux, 28 minutes d'images qui combinent sensualité, silence et poésie, à la réalité politique et sociale, qui domine dans ce village avant la frontière irakienne. Confidences d'un jeune cinéaste... L'Expression: Pourriez-vous d'abord nous expliquer l'idée de ce moyen métrage que vous avez réalisé en Jordanie, près de l'Irak? Nassim Amaouche: A la base, c'est parti d'un concours qui devait être organisé par une fondation privée en France qui lançait un appel à l'écriture de scénarii de fiction qui devaient être tournés en Jordanie. Moi, j'ai répondu en proposant un projet de documentaire en disant que c'était impossible pour moi d'écrire un scénario de fiction dans un pays que je ne connaissais pas. Ils ont accepté donc que je parte en Jordanie avec un projet de documentaire. Le sujet en était assez flou pour que moi j'aie la liberté ensuite d'écrire au jour le jour. Ce que je voulais en fait, c'est arriver au pays, voici ce qui m'intéressait, sentir un peu l'atmosphère avant de tourner. C'est comme ça que je suis arrivé en Jordanie sans savoir ce que j'allais faire. En quoi cela vous a-t-il intéressé justement de filmer un coin ou rien ne se passe, a priori? En arrivant sur place, j'ai été à la frontière irakienne, j'ai été frappé par un décor de no man's land, où tout était vide, au milieu du désert, avec quelques trafiquants de gasoil, quelques prostituées et des camionneurs qui ne s'arrêtent jamais, sauf pour aller trafiquer le gasoil ou aller voir les filles. L'idée était de faire un film sur le lieu, non pas sur les trafiquants ou bien sur les filles. Pour moi, ce lieu est symptomatique d'une situation générale qui prévaut dans le monde arabe actuellement. Pour moi, c'était une allégorie, du vide, du désarroi qui pouvait existait dans le monde arabe en particulier et puis dans le monde. Vous disiez lors du débat qui avait suivi la projection que vous vouliez filmer les «à-côtés»... Ce que je veux dire c'est que parfois, la caméra n'est pas obligée d'être forcément sous les bombes ou dans les conflits pour avoir un juste sentiment de ce qui se passe. Je pensais que c'était intéressant de décoder un peu les choses. D'être à côté des événements, avec un peu plus de distance. J'ai l'impression, en ayant mis ma caméra à quelques kilomètres de l'Irak que c'était une contrainte au début, mais cela m'a fait réfléchir ensuite sur la façon de filmer. En mettant la caméra un peu à côté des endroits chauds et pas forcément à l'endroit même, il y avait des choses qui se passaient. Je ne dis pas que ce n'est pas bien d'aller filmer au coeur de l'actualité. C'est super important. Peut-être que je ferai des films comme ça un jour. Comment expliquez-vous l'acharnement de la police qui vous interdisait de réaliser ou de filmer? Je ne me l'explique pas. C'est à eux de s'en expliquer. Ils ont été paranoïaques. C'est vrai que le documentaire n'est pas une tradition en Jordanie. C'est plus des fictions. Pour un documentaire, c'est tout de suite extrêmement politique. On était à la frontière irakienne, donc par définition un petit peu tendue. Et puis, on filmait des choses qu'ils n'avaient pas envie qu'on montre du pays. Ils avaient envie qu'on en fasse une carte postale. De montrer qu'il y a de la prostitution, des trafiquants de gasoil, ça ne leur plaisait pas. Ils ont été extrêmement paranoïaques, ensuite, ça a été un déroulement, un peu d'action folle qui a fait que tout a été interdit assez rapidement. Peut-on connaître vos projets ? Je suis sur un projet de long métrage de fiction qui sera tourné en France, sur le même univers. Cela se passe dans un no man's land quelque part dans un quartier ouvrier en France, et c'est la dernière semaine avant la démolition de l'usine. C'est une galerie de portraits, de gens qui vivent dans un immeuble. Pour un jeune réalisateur algérien vivant en France, quel regard aviez-vous porté sur les «événements des banlieues» de l'hiver dernier? Je pense que, quand il y a trop de hogra, à un moment donné, il y a une réaction. Celle-ci a été instinctive, instantanée, avec les moyens qu'ils possèdaient. C'est-à-dire qu'à partir du moment où il n'y a pas d'alternative politique, on ne peut pas demander aux gens de s'exprimer de façon conventionnelle. Ces quartiers-là sont laissés à l'abandon depuis des années maintenant. Ce sont des jeunes pour qui le travail est devenu aujourd'hui quasi impossible, avec une intégration quasiment impossible. Ce sont des gens qui possèdent un instinct de survie. Comment évaluez-vous la jeune génération de scénaristes algériens ou maghrébins qui évoluent en France? Oui, il y a des jeunes réalisateurs algériens qui commencent à émerger. Maintenant, moi je me définis comme un jeune réalisateur issu de l'immigration algérienne. Je préfère mettre la nuance car je n'ai pas vécu en Algérie. Je ne pourrais pas faire un film qui traiterait de la réalité algérienne parce que je ne la connais pas assez ou alors ce serait avec mon regard de fils d'immigré. Je crois qu'il faut vraiment faire une nuance entre ceux qui vivent ici et ceux qui vivent là-bas. Pour moi, c'est à ceux qui vivent ici de faire des films sur leur réalité. Cela m'ennuie un peu de voir que les seuls qui viennent ici et ont les moyens pour faire notamment des films, ce ne sont que des jeunes algériens qui vivent en France. Je ne dis pas qu'ils n'ont pas forcément la bonne vision, mais ils ont une vision de gens qui vivent à trois mille kilomètres. Quelle est votre vision, à vous, de la réalité algérienne? La réalité algérienne est extrêmement complexe. Je pense que c'est un pays neuf. Il faut lui laisser le temps. L'Algérie n'a que 40 ans d'indépendance et je crois que parfois on la juge assez durement. C'est un pays qui vit avec toutes les contradictions que cela implique. L'indépendance est faite par les armes mais je crois qu'elle doit se faire réellement aussi sur le plan économique, intellectuel, culturel et cela est un travail à effectuer de longue haleine. Pour un jeune cinéaste algérien issu de l'immigration, comment voyez-vous l'avenir des relations entre l'Algérie et la France? Je ne peux pas présager des relations politiques qui peuvent exister entre l'Algérie et la France. Ce sont des relations qui ont toujours été passionnelles. Et puis, la France a toujours la mainmise sur l'Algérie malgré les apparences. Le président Bouteflika ou d'autres nationalistes peuvent faire de longs discours, cependant je pense que sur le terrain, le pays reste quand même sous l'influence française. Je pense qu'on ne peut pas parler d'égal à égal tant que ce rapport de domination perdure. Et ce rapport de domination française est extrêmement présent envers l'Algérie. Il faudra que ce rapport change de forme pour que s'installent d'autres choses plus sereines.