Dans le cadre de son ciné-club du jeudi, l'association À nous les écrans a proposé le week-end dernier, à la salle Ettaqafa (ex-ABC), deux courts métrages : De l'autre côté et Des miettes pour les oiseaux, du cinéaste franco-algérien, Nassim Amaouche, le seul représentant de l'Algérie au Festival de Cannes, avec son long-métrage Adieu Gary. En fait, il a d'abord été question de la projection du court métrage de 30 minutes intitulé De l'autre côté. Sorti en 2004, l'entame du film se fait par la chanson, Oualech Tloumouni (pourquoi me blâmez-vous) de Cheb Khaled : emblématique, elle résume toute l'histoire de, De l'autre côté, et ses accords résonnent dans les oreilles du spectateur et déraisonnent sa logique : un père qui a honte de son fils, une mère placide comme un roc, un frère noyé dans le système D, et un héros perdu parmi les siens. De l'autre côté, c'est l'histoire de Samir, un jeune Maghrébin, issu des cités-ghettos qui a bien réussi sa vie, puisqu'il a fait de brillantes études en droit, et a quitté la prison de son quartier. Il revient néanmoins chez ses parents pour la circoncision de son petit frère, et réalise que rien n'a changé : son frère Malik traîne toujours avec la même bande de copains et se débrouille comme il peut pour survivre ; sa mère est toujours aussi résignée ; et son père toujours aussi humilié à cause de sa mauvaise maîtrise du français. Entre Samir et son père, c'est la confrontation, puis le clash, puis la réconciliation, puis la distance… voire même la froideur. En effet, le fils ne comprend pas la honte de son père vis-à-vis des Français… les Autres ; et bien que fier de son fils, le père éprouve la même gêne et la même honte vis-à-vis de son fils. Samir prend conscience qu'il est passé de l'autre côté ; son diplôme et son nouveau statut installe une grande distance entre lui et les siens. À un moment du film, et lors d'une discussion entre Samir et Malik, ce dernier lâche une phrase terrible à son frère : “Ne te retourne pas ; tu ne dois rien à personne.” Ironie du sort : Samir devient donc une minorité dans une communauté également minoritaire, oubliée par un grand pays. De l'autre côté aborde le thème de l'émigration avec un regard neuf et lucide, mais il montre également la vie dans les cités, la vie en communauté. De plus, le film analyse les relations familiales, les rapports qu'entretiennent les parents avec leurs enfants et le manque, voire l'absence de dialogue au sein de la même famille. De l'autre côté donne également une image positive des cités HLM puisque Samir est le modèle parfait de la réussite sociale. Le spectateur change d'univers et d'ambiance avec le second court proposé : Des miettes pour les oiseaux. Sorti en 2005, le documentaire de 29 minutes, nous plonge, avec un réalisme poignant, dans un no man's land. L'ambiance est rude, dure et injuste. Monotone, isolé et peuplé par la vide, Ruwayched est le dernier village jordanien avant la frontière irakienne. Il ne se passe jamais rien à Ruwayched, et par la même, personne ne s'aventure dans ces contrées lointaines à part quelques routiers qui traversent la frontière. Pourtant, des êtres évoluent à Ruwayched, et apportent un semblant de vie et de plénitude : quatre “colombes” palestiniennes égaillent les nuits du seul bar de la région, un gérant de station-service qui fait du trafic de gasoil, et un responsable d'un hôtel d'origine syrienne. Et puis il y a la musique – toujours présente dans le cinéma de Nassim Amaouche – à travers un “mawal” très célèbre dans la région, qui allie tristesse et profondeur : un amoureux qui attend le retour de la colombe avec des nouvelles de sa bien-aimée, disparue dans la nuit. Tout comme le héros de cette complainte, les rares habitants de Ruwayched attendent le retour de la colombe. L'oiseau ne vient pas, l'espoir s'est évaporé, toute once de vie est brimée, l'équipe de Nassim Amaouche ne peut plus filmer, le trafic de gasoil est cessé et l'hôtel dans lequel sont descendus les techniciens est saccagé. La police propose au réalisateur de filmer les vestiges de la Jordanie. En effet, les Arabes ont tendance à trop regarder en arrière ; ils n'ont pas peur du passé, car c'est le présent qui les effraie le plus. Or, ils devraient se soucier plus de l'avenir. Le documentaire est ponctué par des textes écrits sur fond noir, souvent pour expliquer ou décrire les situations que la caméra n'a pas pu capter ; ce qui rappelle le cinéma muet. Le texte est à la fois pertinent et drôle ; on a envie de rire mais le cœur n'y est pas face au chaos. Ce clin d'œil au cinéma muet est également une allusion à la loi du silence contraignante, et au manque de libertés. Sociologue de formation, Nassim Amaouche, décortique la société et part à la recherche de la vérité.