À trois jours de la célébration du 60ème anniversaire des accords d'Evian ayant mis fin à huit années d'une guerre sanglante, la France est saisie d'une effervescence inaccoutumée. Angoisse de la guerre en Ukraine, fièvre électorale et l'épineux dossier du Sahel. Au coeur de ce bouillonnement est plantée l'incandescente question mémorielle algero-française. À l'approche des 60 ans de ces accords, les douleurs du passé n'en finissent toujours pas de saisir le présent. De part et d'autre de la Méditerranée, les mémoires saignent. Plus de 10% des Français ont, aujourd'hui, un lien direct avec l'Algérie, dès lors, toute position sur le sujet s'apparente à une randonnée risquée sur un champ de mines. Avant-hier, Bejamin Stora a rappelé que «la guerre d'Algérie avait déchiré les Français». L'auteur du rapport «Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie» remis au président Macron en janvier 2021, a relevé que le débat politique actuel en France dérape. Les candidats des droites font principalement campagne sur les thèmes de l'immigration, l'islam et l'identité nationale. Est-il exagéré d'affirmer que l'Algérie reste ainsi un problème intérieur français, vivace et douloureux? Mieux, elle va jusqu'à constituer un thème décisif dans les présidentielles. Le soixantième anniversaires des accords d'Evian survient à moins d'un mois du premier tour de l'élection présidentielle et la campagne a démarré en trombe sur des thèmes clivant portés par Eric Zemmour. L'extrême droite française en perdition a trouvé dans les frasques de Zemmour une bouée de sauvetage...mais trouée. Clivant, outrancier et obsédé par sa haine de l'islam, Zemmour est un bon client pour les nostalgiques de l'Algérie de papa et tous les aigris de la société française. La question mémorielle alimente les polémiques. L'extrême droite n'a toujours pas fait son deuil et accepté ce qui lui apparaît encore comme une amputation. Les «pieds-noirs» entretiennent le souvenir d'une Algérie qui était trop exclusivement la leur. Il y a un réel risque d'une des «mémoires dangereuses» que Stora explique par le déni observé par la France officielle: «De 1960 à 2000, la France a connu un grand silence sur la colonisation et la guerre d'Algérie.». Pourtant, à l'Hexagone, au moins sept millions de Français ont eu à connaître, personnellement ou à titre familial, des drames de la décolonisation en Algérie (pieds-noirs, immigrés, militaires, harkis...). De son côté, l'Algérie reproche à la France officielle son approche figée dans un esprit de domination hérité du passé. Elle n'arrive pas à concevoir une «coopération exemplaire» et agir en commun avec l'Algérie et d'égal à égal. «Les rapports entre l'Algérie et la France sont traversés par un complexe de failles prêtes à rejouer à la moindre secousse», ironise un diplomate algérien suggérant à la manière d'un architecte, l'impérieuse nécessité de rebâtir ces relations sur un socle plus solide. Le président Abdelmadjid Tebboune et son homologue Emmanuel Macron nourrissent la noble ambition de réconcilier les mémoires entre les deux pays. Leur entente, leur démarche fait retomber à chaque fois les tensions qui viennent parasiter des liens sincères et des démarches constructives. Mais une fois de plus se vérifiait la formule de feu Houari Boumediene: «Les relations entre la France et l'Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, elles ne peuvent être banales.». Passionnées, certes, les relations franco-algériennes l'ont été tout au long de ces 60 ans. Pouvait-il en être autrement? La raison? Il n' y a pas dans le monde entier, à l'exception du Vietnam, de décolonisation plus traumatisante. La guerre d'Algérie, pour toutes les familles aussi bien algériennes que françaises, constitue une des pages les plus noires de leur histoire, page d'autant plus douloureuse qu'elle a été marquée par l'infamie de la torture. Mais malgré ce lourd héritage fait de blessures vives, cela n'empêche pas les jeunes générations en Algérie comme en France d'avoir envie...d'avenir. Alger et Paris doivent se plier à ces desiderata. Elles n'ont plus le choix et c'est dans ce choix obligé que la vérité réside.