Le Monde https://www.lemonde.fr/idees/article/2021 Les Algériens comme les Français ont droit à une histoire débarrassée de l'emprise de l'Etat. Cela suppose que la France reconnaisse sa responsabilité dans la colonisation, mais aussi que la guerre terrible qui a légitimement permis à l'Algérie de conquérir l'indépendance cesse d'être manipulée. Publié le 04 octobre 2021 Editorial du « Monde ». Alors qu'approche le 60e anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, il est temps, entre Paris et Alger, de se dire la vérité, toutes les vérités, même celles qui sont difficiles à exprimer ou à entendre. Cette exigence vaut pour la société française qui, deux générations plus tard, continue de souffrir des non-dits, des silences et des malentendus sur ce qui fut aussi une guerre civile, tant en Algérie qu'en France. Une guerre dont, ironie de l'histoire, des descendants de chacun des protagonistes – nationalistes algériens du FLN, pieds-noirs, harkis – cohabitent dans la France d'aujourd'hui. Emmanuel Macron a raison de faire de la réconciliation entre ces histoires douloureuses un axe central de sa politique mémorielle. Les plaies et les souffrances qu'a infligées la guerre d'Algérie n'en finissent pas de suppurer. Le statut des Français d'origine maghrébine reste, consciemment ou non, marqué par des représentations héritées de ces années 1954-1962 au cours desquelles pas moins de 1,5 million de jeunes soldats français ont été envoyés « maintenir l'ordre » colonial en Algérie. Apaiser, dépasser, voire guérir cette névrose française qui nourrit aujourd'hui de multiples discours de haine à base identitaire est un objectif louable que poursuit le président de la République lorsqu'il s'entretient, comme Le Monde l'a rapporté, avec des jeunes issus de familles protagonistes de la guerre d'Algérie. Si les arrière-pensées électorales ne sont probablement pas absentes, la longue série d'initiatives prises par M. Macron dans ce domaine reflète une conviction : l'apaisement de la société passe par la reconnaissance des pages honteuses de notre histoire et par le dialogue des mémoires. « Crime contre l'humanité » et « rente mémorielle » Après avoir cherché à mener en parallèle le travail de réconciliation des mémoires franco-françaises avec celui d'un rapprochement franco-algérien dans la foulée du rapport que lui a remis l'historien Benjamin Stora, le président de la République a mesuré la difficulté d'une avancée sur ce deuxième plan. En constatant que « le système politico-militaire [algérien] s'est construit sur une rente mémorielle » et sur « une histoire officielle (...) totalement réécrite » qui « repose sur une haine de la France », Emmanuel Macron n'a fait qu'exprimer une évidence, d'ailleurs largement partagée au sein même de la société algérienne.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le dialogue inédit entre Emmanuel Macron et les « petits-enfants » de la guerre d'Algérie La vigueur de la réaction d'Alger – rappel de son ambassadeur en France et interdiction de survol aux avions militaires français – suggère qu'il a visé juste. Les responsables de l'appareil politico-militaire qui contrôle l'Algérie n'ont pas l'intention de se priver d'une rhétorique patriotique et antifrançaise usée jusqu'à la corde, destinée à faire oublier l'impasse où ils ont conduit le pays. Comme si la guerre d'Algérie ne devait jamais s'achever pour qu'ils puissent se maintenir au pouvoir. Les Algériens comme les Français ont droit à une histoire débarrassée de l'emprise de l'Etat, ne niant ni les crimes ni les complexités. Ainsi, on peut à la fois qualifier la colonisation de « crime contre l'humanité », comme l'a fait Emmanuel Macron, en février 2017 à Alger, et constater que le régime algérien abuse de sa « rente mémorielle ». Liés par l'histoire, par la géographie et par l'immigration, les deux pays ont besoin de réconcilier leurs mémoires. Cela suppose que la France reconnaisse sa responsabilité dans les tragédies du passé. Cela exige aussi que la guerre terrible qui a légitimement permis à l'Algérie de conquérir l'indépendance cesse d'être manipulée, soixante ans plus tard, pour légitimer un régime politique.