La situation en Ukraine étant devenue le sujet majeur en matière de crise régionale, la Libye n'occupe plus le devant de la scène depuis presque un mois, alors que l'impasse politique dans laquelle est plongé ce pays risque, à tout moment, de dégénérer en une nouvelle guerre entre l'Est et l'Ouest. Avec deux gouvernements qui se veulent l'un et l'autre légitimes, et de multiples divisions qui entravent la mission d'institutions concurrentes à Tripoli et à Tobrouk, la Libye connaît depuis plus d'un mois maintenant un contexte déjà traversé entre 2014 et 2021 lorsque deux gouvernements et ces mêmes institutions rivales s'affrontaient et que l'armée nationale libyenne autoproclamée du maréchal Khalifa Haftar tentait de s'emparer de la capitale pour en chasser le GNA de Fayez al Serraj. Au lendemain des assises du Forum de dialogue politique inter- libyen (FDPL), fin 2020, et des réunions à Genève du comité militaire mixte 5+5, sous l'égide de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul), une avancée réelle était observée dans le sens d'une sortie de crise et d'une réconciliation nationale conforme au voeu du peuple libyen tout entier. Il était même question d'organiser des élections générales (une présidentielle et des législatives) le 24 décembre 2021 mais, contre toute attente, les choses ont de nouveau dérapé puisque la Chambre des représentants (Parlement auto- reconduit), basée à Tobrouk et soutenue par Haftar, a décidé le report du scrutin au motif que les conditions n'étaient pas réunies. Des candidatures indésirables et des pressions exercées sur la justice ont émaillé ces incidents, au demeurant prévisibles tant la présence de forces étrangères en Libye, toujours agissantes, rendait aléatoire la démarche d'une quête consensuelle. Approuvé par le Parlement que préside Aguila Saleh, un allié inconditionnel du maréchal Haftar, un gouvernement a surgi en février dernier, conduit par l'ex- ministre de l'Intérieur du GNA, Fathi Bachagha, et il a ouvert les hostilités avec celui de Abdelhamid Dbeibah, issu du FDPL et qui entend céder le pouvoir à un Exécutif issu d'élections programmées pour juin prochain. Le fait est que Bachagha a scellé un accord avec Haftar, en novembre 2021 lorsque les deux hommes étaient candidats à la présidentielle aux côtés de leur compère Aguila Saleh. Longtemps soutenu par les Etats-Unis où il a vécu une vingtaine d'années ainsi que les Emirats et l'Egypte, Haftar est désormais accusé de recourir aux services de la société russe Wagner. Le 10 mars dernier, des milices armées partisanes de Bachagha, notable de Misrata comme Dbeibah, s'étaient déployées à Tripoli avec le risque de provoquer de sanglants affrontements et la nullité d'un cessez-le-feu difficilement obtenu par la Manul en octobre 2020. Un branle-bas de combat diplomatique s'est depuis enclenché qui vise à calmer les ardeurs des groupes armés pro Bachagha et à trouver au plus vite une porte de sortie pour éviter un retour à la case départ. Une rechute d'autant plus probable que le Conseil de sécurité, réuni la semaine dernière, n'a pas trouvé mieux que de botter en touche, quitte à laisser la Libye face à son instabilité chronique. Du coup, la balle n'est pas réellement dans le camp des Libyens et d'eux seuls.