Qui a dit que la sortie de crise en Libye est pour demain? Le Parlement basé à Tobrouk vient de jeter un engin explosif dans la mare avec le vote intronisant l'influent ex-ministre de l'Intérieur, Fathi Bachagha, nouveau Premier ministre en remplacement de Abdelhamid Dbeibah. Celui-ci avait averti qu'il ne rendrait le tablier qu'à un gouvernement «sorti des urnes». Mal lui en a pris puisque sa voiture a été mitraillée jeudi à titre de mise en garde. Le clivage qui a longtemps opposé l'Est et l'Ouest, ayant chacun leur propre gouvernement et leurs institutions, cède désormais place à un clivage beaucoup plus net, entre le peuple libyen qui réclame des élections pour se doter d'institutions légitimes et crédibles et des élites qui n'ont qu'une obsession, celle de demeurer aux commandes du pays quitte à le plonger dans une nouvelle aventure désastreuse. Les élections prévues le 24 décembre 2021, conformément à la feuille de route adoptée par le Forum de dialogue politique interlibyen (FDPL) lors des pourparlers de Tunis et de Genève, avaient fait naître d'immenses espoirs comme en témoignent les 2,5 millions de Libyens sur les 7 millions qui constituent la population globale qui ont retiré leur carte d'électeur pour pouvoir voter aussi bien à la présidentielle qu'aux législatives. C'était compter sans les députés de la Chambre des représentants et son président Aguila Saleh. Le désenchantement est donc total et l'incertitude tout autant. En optant pour un deal avec Fathi Bachagha, proche des milices de Misrata, Aguila Saleh et le maréchal Khalifa Haftar, soutenus par les Emirats et l'Egypte, écartent pour de nombreux mois toute perspective de recours aux élections et se donnent ainsi le temps de manoeuvrer pour priver le peuple libyen de son droit à s'exprimer dans les urnes pour tel ou tel candidat. L'ONU qui a beaucoup contribué à faire avancer le processus de sortie de crise, au point que ces élections semblaient imminentes, déplore la nouvelle phase d'incertitude qui ne sert pas les intérêts du peuple libyen et elle a apporté, jeudi soir, son soutien à Dbeibah. Son porte-parole Stephane Dujarric a, en effet, affirmé que la communauté internationale continue à appuyer le Premier ministre issu du FDPL. De son côté, la Ligue arabe a réagi par la voix de son SG, Abou El Gheit, pour affirmer qu' «un accord politique global qui garantit des élections nationales visant à restaurer la légitimité des institutions de l'Etat est le seul moyen de mettre fin à la longue période de transition et de se diriger vers la stabilité, le développement et la construction». Et d'ajouter: «la Ligue arabe soutient tous les efforts sincères visant à maintenir la stabilité de la Libye sans intervention étrangère.» La région de Tripoli où se cantonnent des milices puissantes et aux allégeances fluctuantes est de nouveau dans une zone des tempêtes, Bachagha comme Dbeibah ayant leurs propres réseaux dans toute la Tripolitaine. Mais là encore, tout dépendra de la capacité de chacun des deux hommes à leur assurer l'octroi des postes, le versement des salaires et la fourniture des armes.