À deux semaines du 1er tour de l'élection présidentielle française, les candidats ont tenu, hier, des rassemblements qu'ils espèrent massifs, afin de convaincre des millions d'indécis, après des mois d'une campagne en sourdine du fait, notamment du conflit en Ukraine. Alors que la principale challenger du chef de l'Etat, Marine Le Pen, se trouvait le week-end en Guadeloupe, territoire des Antilles françaises, où des manifestants ont perturbé une émission télévisée qu'elle enregistrait, son adversaire d'extrême droite Eric Zemmour, en déclin dans les sondages, comptait réunir des dizaines de milliers de supporters à Paris. L'écologiste Yannick Jadot tenait meeting dans l'une des plus grandes salles de la capitale, tandis que Jean-Luc Mélenchon, pour la gauche radicale, escomptait renouveler sa démonstration de force parisienne une semaine plus tôt, cette fois-ci à Marseille (Sud). Exception notable dans cette frénésie de dernière ligne droite: Emmanuel Macron, grand favori pour un second mandat, n'a prévu aucun déplacement électoral, accaparé par le conflit en Ukraine, alors que la campagne officielle, avec les panneaux électoraux devant les bureaux de vote débute aujourd'hui. «Il faut qu'il soit sur le pont pour protéger les Français (...) dès qu'il le peut, il est aussi candidat», justifiait vendredi sa ministre du Travail Elisabeth Borne, balayant les accusations de tous ses opposants, pour lesquels le chef de l'Etat dédaigne le scrutin. La candidate de la droite traditionnelle Valérie Pécresse, après de récentes semaines catastrophiques qui la voient désormais culminer à 12% d'intentions de vote, a contracté le Covid-19 et retrouvera son public «à distance». «Ça n'arrange rien, dans une campagne qui est horriblement difficile», reconnaissait vendredi l'ex-ministre de droite Jean-François Copé, soulignant «la difficulté» pour Mme Pécresse «à faire passer son message aux Français. Parce qu'aujourd'hui, ils ont la tête ailleurs». La campagne présidentielle, «à bas bruit», semble ainsi «n'avoir jamais démarré» du fait du «conflit en Ukraine», de l'«absence de débat» et du sentiment que «les choses sont jouées» depuis des mois, le chef de l'Etat arrivant invariablement en tête de tous les sondages, estime Adélaïde Zulfikarpasic, la directrice de BVA Opinion, un institut les réalisant. Mais «peut-être que tout va se jouer dans les deux prochaines semaines», alors que «quatre électeurs sur dix sûrs d'aller voter sont encore dans l'hésitation», en plus des abstentionnistes potentiels, poursuit-elle. Au vu de la «forte défiance» à l'égard de la classe politique et de ses institutions, «la plupart des Français ne se sentant pas représentés par les responsables politiques, il y a de multiples ingrédients qui débouchent à la fois sur un vote plus incertain, sans doute plus mobile», opine la politologue Anne Muxel, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Un facteur clé pour le scrutin. Alors qu'Emmanuel Macron reste à 28-30% dans les sondages, loin de la mêlée, malgré quelques points perdus ces dernières semaines, ses principaux concurrents, Marine Le Pen (20%) et Jean-Luc Mélenchon (12,5 à 15%), surfent sur une bonne dynamique. Deux candidats qui, s'ils réussissent à mobiliser leur électorat, sont capables de prouesses mais qui, dans le cas contraire, auront énormément à perdre, souligne Mme Muxel. Mais du fait d'une «abstention différentielle», les électeurs des différents candidats «n'ont pas le même comportement électoral», explique le politologue Gaspard Estrada: «Les personnes les plus diplômées, les plus aisés et les plus âgées», dont beaucoup soutiennent Emmanuel Macron, se rendent ainsi plus dans l'isoloir que les électeurs de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui «ont davantage tendance à ne pas aller voter le jour de l'élection». Les deux candidats, qui ont largement axé leurs campagnes sur le pouvoir d'achat, préoccupation numéro un des Français alors que les prix flambent du fait de la guerre en Ukraine, ont donc un intérêt maximal à mobiliser leur base le plus possible. D'où l'importance des derniers meetings... malgré la multiplication des signaux négatifs quant à l'implication politique des Français. Prenant acte de «l'évolution des attentes», TF1, la première chaîne du pays, arrêtera son émission spéciale consacrée au premier tour à 21h30 le 10 avril, bien plus tôt que pour les précédentes présidentielles. Ensuite, les téléspectateurs seront invités à regarder Les Visiteurs, une comédie populaire des années 1990. Une première. Contrairement aux émissions politiques, la comédie, elle, garantit des succès d'audience.