Aujourd'hui à 20h (18 h GMT), la France connaîtra les deux candidats qui s'affronteront, le 24 avril prochain, pour le second tour de la présidentielle. Si la perspective d'un nouveau duel entre le chef de l'Etat sortant Emmanuel Macron et sa rivale d'extrême droite Marine Le Pen est très probable, l'angoisse est plutôt au niveau du taux de participation. Toutes les études et tous les sondages annoncent une très forte abstention durant ce scrutin. Si tel était le cas, de quoi serait fait le signe? Avant de répondre à cette interrogation, il faut observer les conséquences immédiates de cette abstention: la nature ayant toujours horreur du vide, c'est alors qu'un grand boulevard s'ouvrira devant les binationaux pour élire un président de la République française à leur convenance. Le nombre d'électeurs algériens inscrits en France, qui peuvent être de nationalité algérienne ou avoir une double nationalité, avoisine les 900 000. Un chiffre susceptible de faire basculer le scrutin et on comprend pourquoi il effraie surtout les candidats de l'extrême droite. Durant toute la campagne électorale, les candidats de l'extrême droite agitaient les questions mémorielles liées à la colonisation les imposant dans le débat tout en ciblant des niches électorales, pour promouvoir leur récit national. On ressort la carte «Algérie» pour diverses questions: immigration, passé colonial, coopération bilatérale. À chaque élection française, tous les chemins mènent à Alger. La convocation de la mémoire ne concerne pas uniquement les Français mais un large spectre de personnes ayant des rapports avec les deux pays : les appelés de la guerre d'Algérie, les pieds- noirs, les harkis, nostalgiques de l'Algérie française et surtout les binationaux... Un enquête réalisée par le chercheur Paul Max Morin, révèle dans son livre Les jeunes et la guerre d'Algérie, une nouvelle génération face à son Histoire, que: «39% des jeunes Français ont un lien familial avec la guerre d'Algérie et doivent affronter ses conséquences intimes et politiques.» Il faut savoir, selon l'historien Benjamin Stora qu' «en 1962, il y avait 400 000 jeunes soldats en Algérie, sachant que ceux qui sont nés entre 1932 et 1943 sont, presque tous, allés en Algérie, il s'agissait d'un million et demi». Cela dit, le lien familial des jeunes Français avec la guerre d'Algérie n'est pas sans conséquences sur la transmission de la mémoire et de son interprétation. C'est tout ce « monde» directement touché par ce conflit qui nourrit l'interférence de la guerre d'Algérie dans le débat politique interne français, surtout en période électorale et lui donne une très forte résonance dans l'espace public. Traditionnellement, la sympathie des binationaux algériens va plutôt à gauche. Mais pour le scrutin d'aujourd'hui, les binationaux font face à un véritable dilemme oscillant entre le candidat Macron et Mélenchon. Sans consigne de vote, la communauté algérienne, en dépit de son nombre, agit de manière strictement individuelle. En revanche, à Alger, on redoute le risque d'avoir un interlocuteur déplaisant au palais de l'Elysée. De ce point de vue, Emmanuel Macron sera, pour l'Algérie, le candidat secrètement espéré. Cela est d'autant plus vrai que le président Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron entretiennent des rapports très cordiaux. C'est grâce à cette amitié assumée que les brouilles entre les deux pays ont été à chaque fois surmontées. En octobre 2021, les relations algéro-françaises ont connu une grave crise suite aux propos malheureux d'Emmanuel Macron sur l'Algérie, son histoire et son armée. Conséquence: Alger a pris des mesures de rétorsion. Mais face à une volonté d'apaisement clairement affichée en France, le président Tebboune s'est résolu à ouvrir une porte pour reprendre langue avec le partenaire français. L'Algérie affiche une disponibilité à tenir compte du contexte électoral et surtout du moment difficile dans lequel se trouve le candidat Macron. En contrepartie, elle ne cède rien sur ses intérêts qu'elle compte bien affirmer: un respect mutuel et des rapports d'égal à égal, ensuite être reconnue comme un acteur incontournable dans les conflits régionaux, notamment au Sahel et en Libye.