Depuis des années, l'épanouissement de la relation «stratégique approfondie» entre l'Algérie et la France est systématiquement entravée, pour des «raisons» obscures, chaque protagoniste paraissant s'évertuer à revendiquer le titre le champion de la maladresse. Ayant reçu à sa demande une importante personnalité française à Oran, il y a huit mois en tant qu'expert international indépendant, nous avons eu un long entretien sur des sujets sensibles outre la situation économique de l' Algérie et les perspectives, thème que j'ai abordé d'ailleurs à l'invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l'Union européenne en vidéoconférence le 31 mars 2021. Ont été abordés, sans tabou comme le devoir de mémoire, indispensable pour consolider des relations durables entre l'Algérie et la France En dépit des relations politiques mouvementés depuis de longues décennies, l'Europe demeure le premier partenaire de l'Algérie, restant un partenaire clé pour l'Algérie comme en témoigne la structure du commerce extérieur de l'Algérie pour 2020 et attendant un bilan complet des échanges pour 2021, avec 48.5% des importations et 56.8% des exportations pour 2020. Par rapport à 2019, les importations en provenance de l'UE ont enregistré une baisse de l'ordre de 17.7% passant de 18.6 Mrd à 14.8 Mrd USD. Les échanges avec les pays de l'Accord de la Grande zone arabe de libre-échange (Gzale), ont enregistré une baisse de 9.6% en 2020 par rapport à l'année 2019, passant de 1.3 Mrd USD à 1.2 Mrd USD en rappelant que l'Algérie a ratifié ledit accord fin 2019. L'accord portant Zlecaf, entré en vigueur en janvier 2021, prévoit la suppression des droits de douane pour 90% des lignes tarifaires sur 5 ans pour les pays les plus développés et sur 10 ans pour les pays les moins développés. Les pays de l'Asie viennent en 2e position par zone géographique avec une part de 32.73% des importations de l'Algérie et de 28.7% des exportations vers ces pays avec une nette diminution passant de 9.2 Mrd à 6.8 Mrd USD. Parallèlement, les importations de l'Algérie en provenance de ces pays ont enregistré une diminution importante de 23.5%, passant de 14.7 Mrd USD à 11.3 Mrd USD. L'essentiel des échanges commerciaux avec cette région étant réalisé avec la Chine, où existe un important déséquilibre commercial en défaveur de l'Algérie entre 2010/2021, qui reste le premier fournisseur de l'Algérie, malgré une nette baisse des importations en 2020 (24.5%, soit de 7.6 Mrd USD à 5.8 Mrd USD), la Chine représentant 51.4% des importations et 17.1% des exportations, et l'Inde 6.5% des importations et 9.6% des exportations. L'enquête réalisée par la Banque mondiale montre qu'en 2020 existent d'importantes disparités d'intégration entre les zones: Mercours entre 14,7 et 16,4%, Cédéao entre 8,7 et 11,5%, Comesa entre 5,7 et 5,9% et la Cea entre 3,7 et 5,9%. Certes, pour l'Afrique, avec plus d'un milliard de consommateurs et un PIB combiné d'environ 3 000 milliards de dollars américains, la nouvelle zone de libre-échange continentale crée le deuxième plus vaste marché mondial derrière le Partenariat régional en Asie et dans le Pacifique, mais reste un long parcours, le commerce intra-africain en 2020 représentant environ 15,2% selon la Cnuced. L'Algérie, un acteur stratégique Mais les relations ne se limitent pas aux aspects économiques., l'Algérie, étant considérée comme un acteur-clé pour la stabilité de la région méditerranéenne et africaine. Dans plusieurs rapports entre 2018/2021, les autorités tant américaines qu' européennes ont tenu à souligner qu'avec les tensions au niveau de la région, qui influent par ricochet, sur l'Europe, les autorités algériennes contribuent à la stabilisation de son voisinage immédiat, notamment au Sahel, et que l'Algérie demeure un acteur-clé au niveau régional. L'effort continu, de modernisation des équipements, ainsi que les nombreux effectifs de sécurité dont l'Algérie dispose, ont permis au pays de contrer de façon efficace les menaces terroristes, notamment avec les crises libyenne et malienne. Dans le domaine économique, tous les pays, tout en respectant les accords internationaux, protègent une partie de leur production nationale grâce à l'Etat stratège et régulateur en économie de marché, pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques, à ne pas confondre avec le retour à l'Etat gestionnaire de l'ex-économie soviétique, comme le montrent les décisions récentes de bon nombre de pays développés et émergents, avec l'impact de l'épidémie du Coronavirus. Dans ce cadre, l'Algérie entend lever les obstacles à la règle des 49/51% qui bloque l'attrait de l'investissement étranger ainsi que la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui freinent l'attrait de l'investissement, tant local qu'étranger. Sur le plan énergétique, au travers du GNL et des canalisations Medgaz et Transmed, l'Algérie est un acteur stratégique pour l'approvisionnement en énergie tant de la France que de l'Europe représentant environ 11% d e leur approvisionnement et la part devrait s'accroire à l'avenir. L'essentiel pour l'Algérie est de favoriser une accumulation de savoir-faire managérial et technologique, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, l'Etat pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l'objectif étant une valeur ajoutée interne positive. Et ce afin de mettre fin à la faiblesse du tissu productif en Algérie, l'économie algérienne étant une économie foncièrement rentière. Dans la pratique des affaires, il n'y a pas de fraternité, de sentiment et l'Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c'est le cas de la France, car les opérateurs - qu'ils soient arabes, algériens chinois, français ou américains - étant mus par la logique du gain, ils iront là où les contraintes sociopolitiques et socio- économiques sont mineures, leur objectif étant de réaliser le profit maximum. Aussi, il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d'Etat ou ministres, mais sur des réseaux décentralisés, par l'implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération. Sous réserve d'une meilleure gouvernance, de la valorisation du savoir - richesse bien plus importante que toutes les réserves d'hydrocarbures - et de la levée des contraintes d'environnement, ainsi qu'avec une plus grande visibilité et cohérence de sa politique socio- économique, et en évitant l'instabilité juridique et monétaire, l'Algérie a les potentialités pour passer d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et devenir un pays pivot au sein de l'espace euro-méditerranéen et africain (cf. notre interview à American Herald Tribune, 2018). L'attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants: la proximité géographique des marchés potentiels d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient; la taille du marché intérieur estimée à plus de 45 millions de consommateurs au 01/01/2021; des richesses naturelles importantes; des ressources humaines; un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars; des réserves de change - bien qu'en baisse - de 44 milliards de dollars à la fin de 2021. Aussi, n'oublions pas le nombre de résidents d'origine algérienne dans le monde, et notamment en France. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l'Algérie et la France, du fait qu'elle recèle d'importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l'Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d'intervention l'initiative de l'ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. Cependant, en cette ère de profondes mutations géostratégiques, économiques, sociales, cultuelles au niveau mondial, avec la consolidation des grands espaces, il est dans l'intérêt de tous les pays du Maghreb d'accélérer l'intégration économique, étant suicidaire de faire cavalier seul, si l'on veut attirer des investisseurs potentiels intéressés non par des micro-espaces, mais par un marché de plus de 100 millions d'habitants. Dans une contribution parue le 28 avril 2011 à l'Institut français des relations internationales (Ifri) de Paris, France sous le titre «La coopération Europe/Maghreb», j'avais mis en relief que les échanges intra-maghrébines ne dépassaient pas 3%, les résultats mitigés du processus de Barcelone, posant l'urgence d'une nouvelle conception des relations internationales. J'ai soutenu que le format qui me semblait le plus à même d'être opérationnel à moyen terme au niveau de la Méditerranée occidentale est l'espace des 5+5 + Allemagne, afin de réaliser une prospérité partagée conciliant développement et démocratie en tenant compte des anthropologies culturelles et grâce à la société civile (réseaux décentralisés) qui, à côté des Etats et des institutions internationales, sera le vecteur dynamisant au XXIe siècle. Dans une autre étude pour l'IFRI en décembre 2013, «Les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb» j'avais posé l'urgence d'intégrer d'une manière intelligente cette sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui enfante la corruption, loin des mesures bureaucratiques autoritaires, qui contrôle une part importante de la masse monétaire en circulation et des activités économiques dépassant largement les 50%, limitant toute la politique économique des Etats, encore que servant de tampon social. L'indispensable bonne entente Algérie-France La stabilité de la région euro-méditerranéenne passe par une entente entre l'Algérie - dont les frontières côtoient bon nombre de pays très fragiles, qui menacent sa sécurité -, et la France, du fait que celle-ci, pour des raisons historiques, tisse d'étroites relations avec bon nombre de pays limitrophes à l'Algérie. C'est que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus sur des relations de chef d'Etat à chef d'Etat ou de ministre à ministre, mais sur des réseaux et là il faut souligner que l'Algérie accuse un retard important. Tout en évitant d'instrumentaliser l'histoire, n'ayant de leçons de patriotisme à recevoir de personne, étant issu d'une grande famille de révolutionnaires, feu mon père ayant été emprisonné entre 1958/1962 à El Harrach et Lambèse, il s'agit aujourd'hui - comme je l'ai souligné il y a quelques années (2014) lors d'une conférence, au Sénat français, à l'invitation de mon ami Jean-Pierre Chevènement, ancien président de l'association Algérie-France et grand ami de l'Algérie - de dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée, et de préparer ensemble notre avenir à l'horizon 2025/2030, où l'on devrait assister à une profonde reconfiguration géostratégique de la région, ce qui nous impose d'entreprendre ensemble. (notre contribution à Africapresse.Paris du 3 avril 2021. Pour cela, nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale et au co-développement grâce au dialogue des cultures et la tolérance sources d'enrichissement mutuel, ne devant pas occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre l'Algérie et la France. *Docteur d'Etat (1974) en sciences économiques, Expert international