Septuagénaires, richissimes et controversés: Bola Tinubu et Atiku Abubakar, tout juste désignés candidats à la présidence du Nigeria, promettent une campagne électorale acerbe, s'attaquant par déclarations interposées à l'heure où le pays le plus peuplé d'Afrique fait face à des défis immenses. Ce scrutin prévu en février 2023 risque de tourner au duel entre le nord et le sud dans un Nigeria très polarisé, en proie à une insécurité généralisée et à une crise économique, affirment des analystes. Originaire du sud-ouest, Bola Ahmed Tinubu, surnommé «le parrain» pour son immense influence, est le candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC). Richissime musulman de 70 ans, il a gravi tous les échelons politiques au gré d'accusations de corruption, sans jamais être condamné. Tinubu a notamment été gouverneur de Lagos, poumon économique du Nigeria. Son principal adversaire est un vétéran de la politique issu du nord-est: l'ancien vice-président Atiku Abubakar, 75 ans, désigné candidat du Parti démocratique populaire (PDP), principal parti d'opposition. Ce sulfureux homme d'affaires, également musulman et accusé de corruption, se présente à la présidentielle pour la sixième fois en trente ans. La plus longue campagne électorale depuis le retour de la démocratie en 1999 au Nigeria (8 mois) «augmente le risque que la rhétorique politique alimente la violence», alerte le cabinet de conseil Eurasia Group. Mercredi, dès l'annonce de sa victoire à la primaire de l'APC, Bola Tinubu qualifiait ses adversaires du PDP de «termites» et d'«agents de la pauvreté». Il a attaqué le bilan des 16 années passées au pouvoir du PDP (1999-2015), leur lançant: «Faites-vous enterrer et laissez-nous la voie libre». Dans la foulée, le PDP a réagi en affirmant que les Nigérians tiennent Bola Tinubu «pour responsable de l'administration ratée dirigée par Muhammadu Buhari, qui a assujetti le peuple, apporté des difficultés économiques atroces, une pauvreté aiguë et des massacres». Ce sera là un des arguments clés de l'opposition: discréditer le «parrain» sur le bilan jugé catastrophique du président Muhammadu Buhari, au pouvoir depuis 2015. Atiku Abubakar attaquera aussi l'état de santé de Bola Tinubu, qui dément être malade. Mais «des épisodes de tremblements suggèrent qu'il souffre d'une maladie neurodégénérative», écrit Eurasia Group. Outre ces joutes verbales, le sujet central de la présidentielle de 2023 est une spécificité nigériane: le «zonage». Selon cet accord tacite, la présidence doit alterner tous les deux mandats entre un candidat du nord, majoritairement musulman, et du sud, majoritairement chrétien. Ce principe vise à maintenir l'équilibre dans un pays qui compte plus de 250 groupes ethniques et où les tensions entre communautés sont fréquentes. Puisque le président Buhari est originaire du nord, la Présidence devrait être briguée par un candidat du sud. Or, le PDP a choisi d'ignorer le «zonage» en désignant Abubakar, issu du nord-est. La raison principale: attirer les électeurs du nord où «les voix étaient excessivement importantes lors de la dernière élection présidentielle», souligne Adedayo Ademuwagun, du cabinet de conseil en sécurité Songhai. Tous les yeux se tournent désormais vers les colistiers des candidats qui ont jusqu'au 17 juin pour désigner leur éventuel futur vice-président. La tradition veut que ce duo soit composé d'un chrétien et d'un musulman. Tinubu et Abubakar devraient donc choisir un colistier chrétien. Mais ce différend géographique «éclipse» les sujets de fond que sont la sécurité et l'économie, souligne Ademuwagun. Le massacre de 40 paroissiens dans une église dimanche dans le sud-ouest, relativement épargné par les violences, est un cruel rappel de l'insécurité presque généralisée dans le pays. Théâtre depuis douze ans d'une insurrection terroriste dans le nord-est, le Nigeria est également en proie à des bandes criminelles dans le centre et le nord-ouest et à une mouvance séparatiste dans le sud-est.»Pendant ce temps, l'inflation atteint les 17% et la croissance du PIB s'essouffle», poursuit Ademuwagun. Le géant nigérian, déjà éprouvé par la pandémie de Covid-19, est également frappé par les conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, qui fait augmenter les prix des denrées alimentaires et de l'énergie sur tout le continent. Près d'un tiers des 215 millions de Nigérians vit sous le seuil de pauvreté. Et le fossé se creuse entre l'élite incarnée par Bola Tinubu et Atiku Abubakar et la jeunesse nigériane - 60% de la population a moins de 25 ans -, avide de changement. Les deux candidats souffrent d'une très mauvaise image, explique Ikemesit Effiong, du cabinet SBM Intelligence qui ajoute: «L'électorat est vraiment désabusé.»