L'Expression: Pouvez-vous nous parler de votre nouveau roman? Tahar Ould Amar: «Murdus», sans trop en dévoiler, jette la lumière sur une Algérie rêvée par des hommes et des femmes exceptionnels. Cette Algérie réduite au silence est incarnée par un juif et un pied- noir ayant pris part à la guerre de libération aux côtés de leur ami Hmimi, un maquisard kabyle aux principes inébranlables. Elle est aussi incarnée, par procuration, par Mia, l'arrière-petite fille d'un déporté en Guyane française et par Moh (personnage central de Bururu), le rescapé de la décennie noire. Tout ce beau monde installé à Paris se sent interpellé par «la révolution du Sourire». Estimant que leur combat pour les libertés n'a finalement pas été vain, il s'implique pour réinventer leur Algérie. Le reste et plus de détails, les détails qui font le roman, sont à découvrir le 26 du mois en cours au Salon du livre amazigh de Ouacif. Vous demeurez fidèle à la langue amazighe quand il s'agit de l'écriture, vous qui auriez pu vous lancer en langue française, pourquoi un tel attachement viscéral à tamazight? Tout simplement parce que taqbaylit a, plus que jamais, besoin de ses locuteurs natifs pour assurer son amarrage à bon port. Nous ne pouvons pas compter sur Michel Houellebecq pour le faire. Cela étant, et par ces temps de francophobie archaïque, il y a lieu de rappeler que la langue française a, au grand bonheur de notre identité, forgé des Boulifa, des Mammeri et autres illustres noms par qui le Printemps berbère fut. Autrement dit, les langues quelles qu'elles soient méritent respects et surtout gagneraient à être maîtrisées. Depuis la parution de votre premier roman intitulé Bururu, à aujourd'hui, de nombreuses années se sont égrenées. Peut-on parler d'une traversée du désert avant ce retour? Pas vraiment la traversée du désert. J'étais un peu comme dans La Bohème revisitée par Idir: «allagh yeccur, ma d rray yerwi» (la tête pleine, «idées» perturbées). J'étais sur plusieurs chantiers à la fois, dont, entre autres,le lancement de journaux (papier et électronique) qui, hélas, ne feront pas long feu. J'étais aussi occupé par «Murdus» et deux autres projets dont un livre sur L'Amusnaw Lhadj Lmekhtar Nat Saïd. Le projet en question est assis sur un fond de collecte dont Lhadj Youcef At Amer, du village de l'Amusnaw, a été d'une aide inestimable. Le chantier est toujours en cours. Vous faites partie des organisateurs du Salon du livre amazigh de Ouacif, qui est à sa deuxième édition, pouvez-vous nous parler de cet événement qui se tiendra dans quelques jours? La 2ème édition du Salon du livre amazigh est prévue pour le 26 juillet. Nous espérons la réussir autant, sinon encore mieux, que la première. La même équipe gagnante coachée par M. Hacène Halouane y met tout son coeur pour y parvenir. Beaucoup d'auteurs et d'éditeurs sont attendus à Ouacifs. La visibilité de tasekla tamazight, variante kabyle essentiellement, est assurée par les activités périphériques (tables-rondes, conférences, ateliers). Sinon, la littérature d'expression française et arabe n'est pas exclue du Slao. Pour cette deuxième édition, on avait espéré la présence de Yasmina Khadra à Ouacifs. Cela ne sera pas possible pour cause de timing par lequel est tenu l'auteur de «L'imposture des mots» qui soutient et est de tout coeur avec le Slao. Il y a de nombreux écrivains amazighophones originaires de la région de Ouacif, est-ce un hasard ou y a-t-il des raisons spécifiques qui ont favorisé le fait que Ouacif se distingue dans ce domaine? Il ne me semble pas que la région de Ouacif soit mieux lotie, en termes d'auteurs d'expression kabyle, que d'autres régions. Si c'est le cas, l'explication se trouverait peut être dans le titre du roman de Halouane Hacene: Adrar ay uccen! Quel est votre avis sur la littérature amazighe portée par la nouvelle génération? Je ne sais pas si on peut parler de nouvelle littérature, s'agissant d'une littérature qui a à peine un demi-siècle d'existence. Toutefois, ces dix dernières années, nous constatons une production importante allant crescendo. Il y a de belles choses dans ce qui s'écrit, mais il y a aussi de l'approximation due, me semble-t-il, à la précipitation et surtout au fait de ne pas prendre le temps qu'il faut pour se concentrer, maîtriser son sujet, avant de noircir du blanc. Y a-t-il un lectorat relativement important du roman amazigh et du livre amazigh de manière générale?. Un éditeur qui a ouvert les portes de son entreprise, monsieur Firas en l'occurrence, affirme avoir réédité deux, trois, voire quatre fois les romans d'expression kabyle. Ce qui veut dire qu'il les écoule. Une enquête menée sur le terrain par le professeur Mohand Ali Salhi révèle que le livre d'expression amazigh n'est pas moins loti que les livres d'expression arabe et française. Ce qui veut dire que le livre d'expression amazighe gagne du terrain sur le marché. Le travail qui se fait au niveau des départements de langue et culture amazighes (Dlca) et la médiatisation qu'assurent les réseaux sociaux sont, me semble-t-il, pour quelque chose. Un produit littéraire si on n'en parle pas, on ne lui permet pas une visibilité comme vous le faites, croupira au fond d'un terroir ou, dans le meilleur des cas, jaunira dans un coin réservé aux invendus d'une librairie. Maintenons cette dynamique et gagnons en qualité. Pourquoi n'avez-vous pas pensé rééditer votre premier roman? J'y ai pensé, il y a quelque temps. C'est juste que je n'étais pas passé à l'action. Quels sont les écueils que peut rencontrer un écrivain quand il écrit un roman en langue amazighe? Il faut rappeler que livre est aussi, peut-être surtout, un produit commercial. Autrement dit, l'éditeur se doit de fonctionner avec les normes inhérentes à l'édition d'un livre (commission de lecture, distribution, médiatisation...) pour au final parvenir à un produit de qualité qui lui permettra de rentrer dans ses frais. Un professionnalisme qui fait défaut à beaucoup d'éditeurs. Ces derniers ne prennent aucun risque, ils se contentent d'imprimer, sans même jeter un coup d'oeil à ce qu'ils impriment à compte d'auteur. Cette manière de fonctionner ouvre les portes à la médiocrité. Du coup, c'est le livre, sa qualité, qui en pâtit. Le problème auquel est confronté le livre (pas l'auteur) est cette manière de fonctionner sans normes. Un dernier mot, peut-être? Merci de m'avoir ouvert votre espace et surtout merci de vous intéresser de manière récurrente au livre sans lequel rien ne va.