L'Expression: Comment est née l'idée d'écrire votre roman en tamazight et comment s'est déroulé le processus de son édition sachant qu'à l'époque l'édition de livres en tamazight était difficile? Tahar Ould Amar: Permettez-moi d'abord de vous présenter mes condoléances et de m'incliner devant la mémoire de notre ami et votre collègue Merzouk Abdenour. Les atrocités vécues et subies par les Algériens pendant la décennie noire ne pouvaient ne pas nous «interpeller» et impliquer une résistance quelle qu'elle soit. Parce que j'étais journaliste, j'ai vécu l'horreur islamiste de plus près. L'idée d'écrire, plutôt le devoir de témoigner de mon temps, s'est invitée tout naturellement. Je vous avoue qu'écrire en kabyle ne m'avait pas tout particulièrement traversé l'esprit. Jusque-là j'écrivais en français naturellement, mais entretemps, l'enseignant de français que j'étais a opté pour l'enseignement de tamazight. Dès lors, écrire en kabyle était un défi à relever. «Bururu» a eu la chance de rencontrer les Editions Azur de Nacer Meterfi. L'éditeur, un homme de culture et qui plus est militant de tamazight, m'avait facilité la tâche, quand bien même il était à ses balbutiements. Il tenait peut-être plus que moi à ce que Bururu paraisse. Honnêtement, l'édition de Bururu n'a pas connu les tracasseries que connaît le roman d'expression amazighe à l'édition. La trame de ce roman est tirée d'une histoire vraie, n'est-ce pas? Pouvez-vous nous en parler? Le personnage principal existait dans la réalité. Lui aussi avait fait de la prison, après une arrestation arbitraire et une enquête approximative. Il était, comme la majorité des jeunes Algérois des cités populaires, un inconditionnel des prêches de Ali Belhadj. Il croyait dur comme fer que l'islam était la voie et la voix du salut, sans pour autant en être idéologiquement imprégné. Après une année de prison où il était en contact avec des islamistes purs et durs, il s'était rendu compte de l'arnaque et avait fini par retrouver ses esprits. C'est le parcours inverse qu'a vécu Moh le personnage de Bururu. Lui avait vécu une histoire d'amour impossible et mélancolique. L'amertume qui s'en était suivi l'avait aveuglé et impliqué dans une histoire de trafic. Il fuira le pays, comme on le fait en quantité industrielle, ces derniers temps. Il fera de la prison en Italie. Et c'est là qu'il est pris en charge par des islamistes. Il en sortira avec la conviction que seul l'islam est le salut. La similitude entre réalité et fiction se limite à ces deux parcours inverses. Peut-on savoir quel impact a été obtenu par ce roman auprès du lectorat amazighophone? Il a été bien accueilli me semble-t-il, notamment par les universitaires. Cela est peut-être justifié par la thématique, voire les thématiques, abordée par Bururu. Il sort de l'ornière identitaire et autoglorifiante. Pourquoi ne l'avoir pas réédité sachant qu'il est épuisé depuis des années. Oui, j'y pensé sans entreprendre la démarche pour y aboutir. Je saisis l'opportunité pour lancer un appel aux éditeurs qui seraient intéressés par sa réédition. Vous êtes aussi l'auteur de plusieurs livres, pouvez-vous nous en parler? Pas si prolifique que ça. Je suis auteur de deux oeuvres: un roman, Bururu en l'occurrence et Tafunast i itezzgen pétrole (la vache à pétrole), un recueil de chroniques paru en 2015, aux Editions Achab. Vous auriez pu écrire en langue française, pourquoi avoir opté pour la langue amazighe? C'est vrai que le français avait toujours été ma langue scripturale. Bururu aurait pu être écrit en français, mais mon humble et modeste engagement dans le combat identitaire et, par la suite et plus concrètement, dans l'enseignement de tamazight ont imposé le kabyle comme langue de Bururu. On assiste ces dernières années à une sorte d'explosion de la production romanesque en tamazight par rapport à il y a une quinzaine d'années. Comment expliquez-vous cet engouement des auteurs en tamazight? Cette explosion, même timide, on la doit à mon sens aux enseignants des départements de langue et culture amazighes. Ces derniers, notamment les littérateurs, ont formé et surtout réussi à communiquer à une génération au moins le plaisir de lire et d'écrire en tamazight. L'avènement des réseaux sociaux et autres blogs spécialisés y sont pour quelque chose aussi. On peut aussi souligner l'ouverture d'esprit des éditeurs qui, de plus en plus, ouvrent leurs portes au livre d'expression amazighe. Je cite à titre indicatif les Editions Atfalouna de Firas Aldjahmani, un éditeur d'origine syrienne qui participe formidablement à l'édition du livre amazigh. Il y a de plus en plus de femmes qui signent des romans en langue amazighe. Bien plus que les hommes, ces dernières années. À quoi cela est dû, selon vous? C'est vrai qu'il y a de plus en plus de femmes qui écrivent. Comme je l'ai souligné plus haut, les Dlca seraient pour quelque chose. Et semble-t-il parce que la gent féminine s'intéresse beaucoup plus aux domaines littérature et linguistique. Je n'ai pas de chiffre, c'est juste une impression. Et c'est tant mieux que la femme qui a beaucoup de choses à dire, signe des romans. Taqbaylit, la langue, ne sera que plus belle. Pensez-vous que le roman amazigh peut avoir un avenir prospère au vu de la production qui ne cesse de s'enrichir et compte tenu d'autres facteurs que vous pourrez aborder? J'en suis convaincu pour peu que cette progression soit accompagnée de liberté et ne soit pas interférée par des stupidités politiques comme savent en produire les Bengrina. Autrement dit, «tamazight tahwaj lehna» (le tamazight a besoin de paix), comme l'a si bien dit Matoub, paix à son âme. Le Salon du livre amazigh organisé à Ouacif est la preuve que le livre amazigh ne peut qu'avoir un avenir prospère. Justement, vous faites partie du comité d'organisation du Salon du livre de Ouacif. Parlez-nous en... Lancée par une petite association nouvellement agréée, l'idée d'organiser un salon pour le livre amazigh a tout de suite été bien accueillie à bras ouverts par les intellectuels de la région et au-delà. Une équipe dirigée par Halouane Hacene, le commissaire du salon, donnera le meilleur d'elle-même pour réussir l'événement. Nous avons constaté que le livre d'expression amazighe a pour la première fois trouvé preneur d'une manière spectaculaire. Cela suffit pour dire que c'était une réussite. Le Salon, la Kabylie, a hélas perdu un ange. Permettez-moi de m'incliner devant la mémoire de Samir At Umalek, l'un des artisans du salon. Permettez-moi aussi de souhaiter prompt rétablissement à Aomar Ousaïd président de l'association Lhadj Lmekhttar Nat Said initiatrice de projet. Avez-vous des projets d'écriture en langue amazighe? Oui, je suis sur deux projets qui tardent à être bouclés. Il s'agit de deux romans. Le premier se veut une «intrusion» dans la vie de Moh, vingt ans après. Le second raconte l'histoire d'un extra-terrestre qui atterrit dans un village kabyle pour s'approvisionner en huile d'olive, le carburant de sa planète. En échange, l'extraterrestre donne aux villageois une machine à remonter le temps en leur disant ceci: «Nous vous avons étudié, avant de venir. Nous avons constaté que vous, les Kabyles, vous avez un problème avec l'histoire. Avec cette machine que nous vous échangeons contre l'huile d'olive, nous vous donnons l'occasion de corriger votre histoire». La suite est à découvrir.