L'homme de guerre a été aussi un bâtisseur de la paix, reconnaissent ses compagnons. Le dernier chef de la wilaya III historique reste entier. Il personnifie le sacrifice suprême. A juste titre, parce que lorsqu'il rejoint le maquis en 1955, il emmène avec lui ses trois fils -dont l'un d'eux est présent dans la salle du Centre de presse d'El Moudjahid- et sa fortune évaluée à 7 millions de centimes à l'époque des faits. Lorsqu'il termine la guerre en 1962, il remet le butin de guerre à l'Etat algérien contre un récépissé. Ce butin est évalué à 6 kg en or massif, 496 louis d'or et 17 millions de centimes. Le colonel Oulhadj, de son vrai nom Akli Mokrane, est né en 1911 à Bouzeguène, dans la daïra d'Azazga. Il milite à l'Udma de Ferhat Abbas, avant de revenir dans son village natal, après les événements du 8 mai 1945, où il s'adonne entièrement à son activité commerciale. En 1955, il décide de franchir le Rubicon en s'engageant corps et âme dans la Révolution en marche en emmenant ses fils avec lui. Il obtient le grade d'aspirant. Une année plus tard, Amirouche lui confie la zone III avec le grade de sous-lieutenant. Il devient capitaine puis commandant en 1957. Il est adjoint du chef de la wilaya III puis intérimaire de Amirouche quand ce dernier part pour Tunis. Mohand Oulhadj sera -pour l'histoire- le dernier chef de la wilaya III, de 1958 à 1962, c'est-à-dire la période la plus dure. Il aura ainsi à subir «l'opération Jumelles» qui était destinée à isoler la Kabylie. Il est blessé à l'oreille lors des bombardements, au point qu' il est guidé par ses djounoud dans le maquis en perdant le sens de l'ouïe. Il décèdera en 1972 suite aux séquelles de cette blessure. Ses anciens compagnons témoignent à l'occasion du 33e anniversaire de son décès. L'association Machaal Echahid leur a offert l'occasion d'évoquer les qualités de cet homme exceptionnel. De mémoire de journaliste, on n'a jamais vu la salle d'El Moudjahid drainer tant de monde. Des témoignages émouvants fusent, des polémiques aussi, comme celle soulevée par le sénateur Bousnane qui répond à Ibelkissène en indiquant que le dossier des «faussaires» est le produit des moudjahidine eux-mêmes. Mais au fil du débat, l'unanimité se fait autour du caractère d'un homme impartial, sage, mûr, respecté par tous, et qui a refusé et la guerre fratricide et le pouvoir. En 1963, lors du maquis du FFS et la guerre des wilayas, il s'est démarqué en disant: «Sept années suffisent, rentrez chez vous!» La guerre avec le Maroc a été une aubaine, il leur a dit: «Libérons d'abord le pays». Les témoins s'accordent à dire qu' Oulhadj a choisi «l'unité nationale au régionalisme». Il a exprimé également sa position sur le 19 juin 1965. Selon Saada Messous, il avait publié une déclaration en juin 1967 où il «condamne le culte de la personnalité, sans aucun mot ou terme blessant envers les personnes». Le colonel Oulhadj est connu pour avoir hissé le drapeau national à Sidi Fredj le 5 juillet 1962. Mohamed Bousmaha, alias commandant Berrouaghia, témoigne: «Je présidais la cérémonie. Quand je lui ai demandé de prononcer un discours, il a refusé en prétextant qu'Alger se situait en territoire de la wilaya IV et que l'honneur nous revenait. Sous l'insistance, il a accepté mais on s'est retrouvé face à un autre handicap : il ne parlait pas arabe. Alors je lui ai proposé de prononcer son discours en kabyle. Il l'a fait». Mouloud Ibelkissène indique de son côté que «l'histoire ne fait pas de cadeaux». Il soulève le cas des «faux moudjahidine» en soulignant l'apport du peuple qui est «comme le double-blanc dans le jeu de dominos ; il est incontournable mais n'est pas comptabilisé à la fin de la partie». Le colonel Oulhadj a réalisé des exploits en gardant les rangs serrés dans une région enclavée, isolée et dont la densité de la population est la plus élevée. Elle a subi les opérations Bleuite, Jumelles, Oiseau bleu et Turquoise. En fin stratège, Oulhadj a riposté à l'opération Jumelles en disséquant ses deux bataillons en petits groupes de 5 à 6 éléments pour prouver à l'ennemi -à Challe en premier lieu- que la guerre se poursuit et la capacité de riposte et de nuisance était intacte. Larbi Mezouari estime à 75.000 hommes le nombre de militaires engagés dans l'opération Jumelles en plus des supplétifs, pendant trois mois, nuit et jour, qui a fait 4200 martyrs. Lors de l'opération précédente, Oiseau bleu, les maquisards ont subtilisé 1200 armes à l'ennemi, précise Aït Ahmed Ouali. «La Bleuite n'est qu'une riposte à cet échec», ajoute-t-il. Amar Aïssani reconnaît que Amirouche «avait été déboussolé par cette opération mais n'avait pas tué ses frères, comme certains le prétendent». Il y a aussi l'affaire de l'Elysée. Le colonel Oulhadj l'a déconseillée à Si Salah . Mais l'histoire en a décidé autrement. Le colonel est revenu cette semaine comme pour nous rappeler qu'il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix.