Le monde s'est arrêté le 6 juillet 2002, laissant s'envoler l'âme du fou de Fadhma. «Cette fois, si je quitte le village, je serai comme une fourmi ailée. Là où me poseront mes ailes, j'y resterai». C'est l'ultime rébellion de l'amoureux éternel de Fadhma et Zahia qui, un jour de frustration et de ras-le-bol, se retire du chant monotone de son village comme le dernier chuchotement crépusculaire du soleil. Ces ailes l'ont conduit et condamné à un exil des plus durs. Et la nostalgie d'un être aussi sensible a servi à des créations artistiques inégales. Un amour joliment sculpté par un désir sublime, une tendance émotionnelle inchangée et les cordes infatigables d'une mandole révoltée. Quatre ans se sont déjà écoulés de cette triste aurore du 6 juillet 2002. Cheikh El Hasnaoui, de son vrai nom Si Moh n'Amar U.Muh, ou encore Khelouat Mohamed, s'était éteint ce samedi en exil, sous une atmosphère exagérément mélancolique de l'île de la Réunion. Fadhma et Zahia, si elles sont encore en vie, ou même au-delà de toute frontière terrestre ou extraterrestre, ont dû arroser, par leurs pleurs sensuels, le visage du bien-aimé Mohamed, absorbé par un fabuleux rêve d'amour. Une semaine à l'honneur de l'artiste sera organisée par les associations culturelles Wihine de Bouhinoun et d'Issegman d'Ihesnawen cette semaine à la Maison de la culture de Tizi-Ouzou. Mais quel hommage pourrait rendre honneur à la légende El Hasnaoui? Et quelle expression pourrait aussi décrire la personne et l'itinéraire d'une idole exemplaire. Même les cordes de sa mandole orpheline ne sont pas en mesure de surmonter le handicap causé par la disparition d'un maître pas comme les autres. L'élève de Cheikh M'Hamed El Anka et de Cheikh Mustapha Nador, un musicien sans fortune et un amoureux sans retraite, a été pleuré, jeudi, par tout un public en quête d'une vraie école du chaâbi. Toutes ces femmes amoureuses et ces fervents qui dansent sans relâche et sans répit à la valse du «Holla hop», sont convaincus que le mot, la note, le sourire, l'amour, la mélodie sont immortels. Célébrer une triste journée c'est aussi incarner de nouveau une belle époque, un beau souvenir et revivre une sensation noble et juste. Né en 1910 dans le village des Ihesnawen en Kabylie, le jeune Mohamed Khelouat s'initie au chaâbi à Alger, première escale d'un exil imposé. Mais c'est dans le Paris des années Trente, celui de Mohamed El Kamel, Amraoui Missoum et Mohamed Iguerbouchen, qu'il entame une carrière d'auteur, compositeur et interprète. Sous le nom d'El Hasnaoui, il va séduire avec une cinquantaine de chansons en kabyle et en arabe populaire, et de grands succès comme El Ghorva Thouâar, B'net Essohba, Maison Blanche ou encore Noudjoum el-Leil qu'il enregistre en 1968 à la veille de ses adieux à la scène. Dans sa retraite silencieuse durant plus de trente ans, Cheikh El Hasnaoui a conservé l'auréole du maître le plus prestigieux du chaâbi de l'émigration. Le monde s'est arrêté le 6 juillet 2002, laissant s'envoler l'âme du fou de Fadhma. Se sont-ils rencontrés dans l'autre bout de l'Univers? Possible. Car, la fureur d'aimer est au-delà de toute frontière et de toute estimation.