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«Les archives ne sont pas la propriété de la France»
Hosni Kitouni, chercheur en histoire à l'university of exeter dans le sud-Ouest de l'Angleterre, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 03 - 10 - 2022

L'Expression: Il y a une frappante particularité qui marque les relations algéro-françaises: c'est ce phénomène d'attraction et de répulsion des mémoires. Comment l'expliquez-vous?
Kitouni Hosni: Si vous faites un léger retour en arrière sur les évènements depuis le vote de la loi de 2005, vous allez vite constater que les provocations viennent surtout de France, dirigeants politiques ou historiens remettent sans cesse l'Algérie au coeur de leurs débats franco-français et ce n'est pas toujours en bien. Jamais comme auparavant, l'Algérie française de triste mémoire n'a autant été commémorée. On a l'impression que plus le temps de la colonisation s'éloigne plus ses pestilences empestent partout la France. La dernière élection présidentielle a livré quelques échantillons de ce retour de mémoire xénophobe, parfois ouvertement raciste à l'égard des Algériens, de leur pays, de son histoire et de ses dirigeants. Rappelez-vous la dernière sortie du président Emmanuel Macron sur la Nation algérienne qui aurait été l'invention de la France. Il y a un proverbe de chez nous qui dit ceci: «?Il m'a agressé et s'est empressé de larmoyer et de se plaindre.?» Il faut se résoudre à admettre que la France a un vrai problème avec son passé colonial et il n'est pas seulement mémoriel, mais structurel et sa solution n'est pas en Algérie.
Est-ce à dire que nous en sommes définitivement sortis?? Loin de là, la question du passé se pose au contraire avec acuité, mais dans une autre perspective, il s'agit de penser et résoudre la question de notre décolonisation culturelle comme l'espérait nos éminents historiens Mohamed Cherif Sahli et Zahir Ihadaden.
Réserver l'accès et l'ouverture des archives uniquement aux historiens composant la commission mixte d'historiens algéro-français, tout en excluant les autres catégories en l'occurrence les étudiants en histoire, les journalistes, les chercheurs, ne constitue-t-il pas un mauvais départ pour l'écriture d'un récit mémoriel et historique des deux pays?
Si vous le permettez, je poserais la question autrement: la France a-t-elle le droit de disposer des archives en toute propriété? Il ne faut pas oublier que nous sommes là en présence d'un acte de brigandage d'un patrimoine algérien, de même nature que le non-payement de la dette du blé ou le chapardage du trésor de la Casbah ou encore le pillage de centaines de milliers d'objets culturels et archéologiques, tels les manuscrits, les bijoux, les pièces de l'art local etc. Les réserves des Musées français et leurs salles d'expositions en sont pleines.
Les archives sont un patrimoine algérien qui a été pillé, et ceux qui l'ont fait visaient précisément à priver les Algériens des instruments de l'écriture de leur histoire. Dès lors, il se pose, aujourd'hui, aux chercheurs algériens des problèmes bien plus terre à terre: avoir un visa, faire face à des frais de voyage et de séjour coûteux. Il arrive à chaque chercheur d'avoir besoin dans l'urgence de consulter un document pour vérifier une information ou pour une étude, cela nous est impossible et explique en partie pourquoi on se détourne de plus en plus de l'histoire de la période coloniale. Ce monopole a une autre conséquence, il nous met en dépendance par rapport aux historiens français pour toutes les questions exigeant des sources primaires avec ce que cela implique comme influences culturelles.
La question de l'accès aux archives se pose donc différemment en France et en Algérie, elle est pour nous une question nationale: que faire pour réparer une dépossession injuste et injustifiée?
Les présidents Tebboune et Macron ont décidé de créer une commission mixte d'historiens sur la période coloniale. Comment faire pour que cette commission soit autonome des pouvoirs politiques? Ne demande-t-elle pas à être choisie par les historiens des deux pays autrement par exemple?
L'idée de commission part du postulat qu'il est possible d'écrire un récit commun du passé colonial. Or, l'idée même de récit est problématique dès lors que les questions que nous Algériens posons à notre passé diffèrent de celles qui se posent pour les Français. Et chaque population est à son tour traversée par des dynamiques et des questionnements différents selon les communautés et les groupes mémoriels. Certes, les Etats-nations ont besoin de récit unique pour fonder leur légitimité, mais nous devons précisément nous inscrire dans une perspective de déconstruction des récits monolithiques et légitimant et aller vers des histoires plurielles, riches de la multiplicité des perspectives et des questionnements. D'où la question préalable qui se pose à cette commission: doit-elle écrire l'histoire de la France en Algérie ou celle des Algériens face à l'agression française? L'optique n'est pas du tout la même!
Travailler uniquement sur les archives étatiques officielles suffit-il pour réconcilier les mémoires?
L'idée d'écrire un récit unique détermine celle des sources. Marcel Emerit, rendant compte du livre de Charles André Julien Histoire de l'Algérie contemporaine (1964) livre devenu culte pour la période 1827-1870, écrit «?Nous y trouvons l'histoire de la politique française dans ce pays; mais on n'y voit pas l'histoire d'une population musulmane, présentée comme une cible, et dont nous voudrions connaître la vie et les sentiments.?» Certes, poursuit Emerit, les sources sont rares pour une telle étude. «?Encore ne faudrait-il pas éliminer ceux qui sont à notre portée. Par exemple, c'est avec un dédain excessif que Julien traite le Miroir de Si Hamdan ben Ali Khodja pamphlet fustigeant l'action de la France pendant les trois années qui ont suivi le débarquement.?» Ce rejet des sources locales n'est pas anecdotique, il relève d'une posture idéologique selon laquelle un indigène est par définition incapable de s'élever à la hauteur d'une pensée critique: «Dire que le Miroir est l'oeuvre d'un Français [comme l'écrit Julien] sous prétexte qu'un Arabe dénonçant les ´´procédés anticonstitutionnels de Clauzel´´ ne peut être assez instruit pour invoquer Benjamin Constant, Grotius et Tacite, c'est conclure un peu vite», tranche Emerit.
Nous voilà donc en présence de la véritable question celle de l'optique du récit historique et de ses sources. Toute l'historiographie française nous raconte la France en Algérie, y compris quand elle évoque ses crimes et ses injustices. Comme le souligne encore une fois Marcel Emerit à propos de Julien: «Dans tout cet exposé, il y a une erreur d'optique. M. Julien veut se poser en historien '' de gauche'' et, pour lui, le meilleur moyen de l'être consiste à attaquer le régime militaire». Sa conclusion est donc sans appel: «?Je regrette donc que l'oeuvre de Ch. A. Julien ne soit pas encore ce que nous attendions: une histoire du peuple algérien.?» Je fais miennes ces observations de Marcel Emerit, elle cadre parfaitement avec ma propre perception de l'historiographie française, elle est le récit, fut-il critique de la France en Algérie, il nous faut écrire celle des Algériens aux prises avec la colonisation. Cette histoire doit absolument renouveler ses sources et donc nécessairement se tourner vers les «?archives non institutionnelles?», comme la poésie populaire, les témoignages oraux, les manuscrits privés, l'archéologie et toutes les traces locales laissées par le passé, car il s'agit avant tout de reconstituer un monde perdu sous le heurt colonial. Cette perspective soulève du même coup, la question de la langue, il y a urgence à écrire dans les langues nationales. Car à quoi rime un livre d'histoire s'il n'est pas lisible pour la majorité de la population?


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